Détermination pratique de l'image et du noyau

Nous reprenons les notations de la section précédente : $ E$ et $ F$ sont deux espaces vectoriels, munis respectivement des bases $ (b_1,\ldots,b_n)$ et $ (c_1,\ldots,c_m)$. La matrice de l'application linéaire $ f$ relative à ces deux bases est $ (a_{i,j})$. Le noyau de $ f$ est l'ensemble des vecteurs de $ E$ dont l'image par $ f$ est le vecteur nul. Soit $ v$ un vecteur de $ E$ et $ x=(x_1,\ldots,x_n)$ le $ n$-uplet de ses coordonnées dans la base $ (b_1,\ldots,b_n)$. La condition nécessaire et suffisante sur $ x$ pour que $ f(v)$ soit nul est que toutes les coordonnées de $ f(v)$, c'est-à-dire toutes les lignes du produit $ Ax$, soient nulles.

$\displaystyle (H)\qquad
\left\{\begin{array}{ccccccc}
a_{1,1} x_1+&\cdots&+a_{...
..._{m,1} x_1+&\cdots&+a_{m,j} x_j+&\cdots&+a_{m,n} x_n&=&0
\end{array}\right.
$

Le système linéaire $ (H)$ est homogène : l'ensemble de ses solutions est un sous-espace vectoriel de $ \mathbb{R}^n$. La méthode du pivot de Gauss permet de déterminer une base de l'ensemble des solutions de $ (H)$, donc une base de $ \mathrm{Ker}(f)$. Nous allons voir qu'elle permet aussi au passage de déterminer le rang de $ f$, et même une base de $ \mathrm{Im}(f)$.

D'après la proposition 8, à toute famille de $ n$ vecteurs de $ \mathbb{R}^m$ correspond une application linéaire de $ \mathbb{R}^n$ dans $ \mathbb{R}^m$. Nous avons vu que le rang de cette application est le rang de la famille de vecteurs (définitions 10 et 14). La technique décrite ici s'applique indifféremment à une famille de vecteurs ou à une application linéaire. La première étape de la méthode de Gauss consiste à mettre le système $ (H)$ sous forme échelonnée.

$\displaystyle (H')\qquad
\left\{\begin{array}{cccccccl}
p_1 y_1\;+&a'_{1,2} y...
...{r,n} y_n&=&0\\
&&&&&0&=&0\\
&&&&&&\vdots&\\
&&&&&0&=&0
\end{array}\right.
$

Mettre le système $ (H)$ sous forme échelonnée, c'est passer de $ (H)$ à $ (H')$ par des transformations de lignes consistant à ajouter à une ligne le produit d'une autre par une constante, échanger deux lignes, permuter éventuellement des coordonnées, de sorte que
  1. les systèmes $ (H)$ et $ (H')$ sont équivalents,
  2. les inconnues $ (y_1,\ldots,y_n)$ de $ (H')$ sont celles de $ (H)$, mais dans un ordre qui peut être différent,
  3. les pivots $ p_1,\ldots p_r$ sont tous non nuls.
Au système $ (H')$ on peut associer la matrice suivante.

$\displaystyle A' =
\left(\begin{array}{cccccc}
p_1&a'_{1,2}&\cdots&a'_{1,j}&\c...
...dots&&&\cdots&0\\
\vdots&&&&&\vdots\\
0&\cdots&&&\cdots&0
\end{array}\right)
$

Cette matrice est celle d'une autre application linéaire $ f'$, de $ E$ vers $ F$.

Théorème 13   Les applications $ f$ et $ f'$ sont de rang $ r$.
$ \bullet$
$ (f'(b_1),\dots,f'(b_r))$ est une base de $ \mathrm{Im}(f')$
$ \bullet$
Soient $ i_1,\ldots,i_r$ les indices tels que $ (x_{i_1},\ldots,x_{i_r})=(y_1,\ldots,y_r)$.
$ (f(b_{i_1}),\dots,f(b_{i_r}))$ est une base de $ \mathrm{Im}(f)$.

Démonstration : La famille $ (f'(b_1),\ldots, f'(b_n))$ engendre $ \mathrm{Im}(f)$, car $ (b_1,\ldots,b_n)$ engendre $ E$. Or tous ces vecteurs appartiennent au sous-espace de $ F$, engendré par
$ (c_1,\ldots,c_r)$. Donc $ \mathrm{Im}(f')$ est de dimension au plus $ r$. Pour montrer que le rang de $ f'$ est $ r$ et que $ (f'(b_1,\ldots,f'(b_r))$ est une base de $ \mathrm{Im}(f)$, il suffit de vérifier que c'est une famille libre. Nous devons montrer

$\displaystyle \sum_{i=1}^r x_i f'(b_i)=0\;\Longrightarrow\;
( \forall i=1,\ldots,r ,\;x_i=0 )\;.
$

Utilisant les coordonnées dans la base $ (c_1,\ldots,c_m)$, les $ x_i$ doivent vérifier le système :

\begin{displaymath}
(H'_r)\qquad
\left\{
\begin{array}{rrrrcr}
p_1 x_1&+a'_{1,2...
...=&0\\
&\ddots&&&\vdots&\\
&&&p_r x_r&=&0
\end{array}\right.
\end{displaymath}

Nous devons montrer que ce système a pour unique solution $ x_1=\cdots=x_r=0$. C'est une récurrence facile sur $ r$. Si $ r=1$, le système se réduit à l'équation $ p_1 x_1=0$, qui a pour seule solution $ x_1=0$, car le pivot $ p_1$ est non nul. Supposons le résultat vrai pour tout système du même type, de taille $ r-1$, et considérons la dernière équation du système de taille $ r$. Si elle est satisfaite, alors $ x_r=0$, car le pivot $ p_r$ est non nul. En reportant $ x_r=0$ dans les équations précédentes, on obtient un système du même type, mais de taille $ r-1$ : la seule solution est $ x_1=\cdots=x_{r-1}=0$, par l'hypothèse de récurrence. Les deux systèmes $ (H)$ et $ (H')$ ayant le même ensemble de solutions, les applications $ f$ et $ f'$ ont le même noyau, et donc le même rang, d'après le théorème du rang 12. La dimension de $ \mathrm{Im}(f)$ est donc $ r$. Pour montrer qu'un ensemble de $ r$ vecteurs est une base, il suffit de vérifier que c'est une famille libre. Inutile d'écrire le système en $ x_{i_1},\ldots,x_{i_r}$ qui exprime que $ x_{i_1} f(b_{i_1})+\cdots+x_{i_r} f(b_{i_r})=0$ : il se déduit de $ (H)$ en annulant les variables autres que $ x_{i_1},\ldots,x_{i_r}$. La chaîne de tranformations qui conduit de $ (H)$ à $ (H')$ conduit forcément de ce nouveau système, au système $ (H'_r)$ ci-dessus. Les deux systèmes ont le même ensemble de solutions, d'où le résultat.$ \square$

La technique est beaucoup plus facile à appliquer qu'il n'y paraît. Considérons l'application suivante, de $ \mathbb{R}^4$ dans $ \mathbb{R}^3$ :

$\displaystyle f\;:\quad (x,y,z,t)\longmapsto
(x+2y+z+t,2x+4y+3z+t,x+2y+2z)\;.
$

Sa matrice, relative aux bases canoniques de $ \mathbb{R}^4$ au départ, et $ \mathbb{R}^3$ à l'arrivée est :

$\displaystyle A = \left(\begin{array}{rrrr}
1&2&1&1\\
2&4&3&1\\
1&2&2&0
\end{array}\right)
$

Le système homogène permettant de déterminer $ \mathrm{Ker}(f)$ est :

$\displaystyle \hspace*{25mm}(H)\qquad
\left\{\begin{array}{rrrrcl}
x&+2y&+z&+t&=&0\\
2x&+4y&+3z&+t&=&0\\
x&+2y&+2z&&=&0
\end{array}\right.
$

$\displaystyle \Longleftrightarrow$

\begin{displaymath}
\begin{array}{cc}
\begin{array}{l}
 \\
L_2\leftarrow L_2-2L...
...&=&0\\
&&z&-t&=&0\\
&&z&-t&=&0
\end{array}\right.
\end{array}\end{displaymath}

$\displaystyle \Longleftrightarrow$

\begin{displaymath}
\hspace*{17mm}
\begin{array}{cc}
\begin{array}{l}
 \\
y\lef...
...&=&0\\
&z&&-t&=&0\\
&z&&-t&=&0
\end{array}\right.
\end{array}\end{displaymath}

$\displaystyle \Longleftrightarrow$

\begin{displaymath}
\hspace*{5mm}
\begin{array}{cc}
\begin{array}{l}
 \\
 \\
L...
...+t&=&0\\
&z&&-t&=&0\\
&&&0&=&0
\end{array}\right.
\end{array}\end{displaymath}

Le système est de rang 2, il en est de même de l'application $ f$. La mise sous forme échelonnée montre que les colonnes de $ A$ correspondant aux variables $ x$ et $ z$, à savoir la première et la troisième, forment une famille libre, donc une base de $ \mathrm{Im}(f)$.

$\displaystyle \mathrm{Im}(f) = \left\{\; \lambda  
\left(\begin{array}{c}1\ 2...
...}{c}1\ 3\ 2\end{array}\right)\;,\quad
\lambda,\mu\in\mathbb{R}\;
\right\}\;.
$

Nous avons écrit les vecteurs en colonnes, pour souligner le fait qu'il s'agit nécessairement de vecteurs colonnes de la matrice $ A$. Pour trouver une base de $ \mathrm{Ker}(f)$, il faut continuer la résolution.

\begin{displaymath}
\begin{array}{cc}
\hspace*{14mm}(H)\Longleftrightarrow
&
\le...
...{rrcrr}
x&+z&=&-2y&-t\\
&z&=&&t
\end{array}\right.
\end{array}\end{displaymath}

$\displaystyle \Longleftrightarrow$

\begin{displaymath}
\begin{array}{cc}
\begin{array}{l}
L_1\leftarrow L_1-L_2\\
...
...rcrr}
x&&=&-2y&-2t\\
&z&=&&t\;.
\end{array}\right.
\end{array}\end{displaymath}

L'ensemble des solutions est l'ensemble des quadruplets $ (-2y-2t,y,t,t)$, où $ y$ et $ t$ sont deux réels quelconques. Donc :

$\displaystyle \mathrm{Ker}(f) =
\left\{\;y (-2,1,0,0)+t (-2,0,1,1) ,\;y,t\in\mathbb{R}\;\right\}\;.
$

C'est un sous-espace de dimension 2 dans $ \mathbb{R}^4$.

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