Allure locale des courbes planes

Dans cette partie, on s'intéresse à l'allure locale des courbes planes régulières. Une notion centrale pour connaître cette allure est la courbure. On verra que celle-ci est fortement liée à la dérivée seconde de la paramétrisation. Rappelons que le déterminant det$ (u,v)$ de deux vecteurs $ u=(u_1,u_2)$ et $ v=(v_1,v_2)$ de $ \mathbb{R}^2$ est donné par :

   det$\displaystyle (u,v)=u_1v_2-u_2v_1.
$



Repère de Serret-Frenet


On définit tout d'abord le repère de Serret-Frenet. Il s'agit d'un repère orthonormé qui varie le long d'une courbe paramétrée.

Définition 8   Soit $ \gamma: [a,b] \to \mathbb{R}^2$ une courbe paramétrée régulière de classe $ C^1$. Le repère de Serret-Frenet de $ \gamma$ au point $ \gamma(t)$ est le repère orthonormé :

$\displaystyle (\gamma(t),\overrightarrow{T}(t),\overrightarrow{N}(t)),
$

$ \overrightarrow{T}(t)=\frac{\gamma'(t)}{\Vert\gamma'(t)\Vert}$ et $ (\overrightarrow{T}(t),\overrightarrow{N}(t))$ est une base orthonormée directe du plan affine.

Le vecteur $ \overrightarrow{T}(t)$ est tangent à la courbe au point $ \gamma(t)$ et le vecteur $ \overrightarrow{N}(t)$ est un vecteur qui est normal à la courbe en $ \gamma(t)$.


Remarque : La droite tangente à la courbe $ \gamma$ au point $ \gamma(t)$ ne dépend pas de la paramétrisation. Par contre, le vecteur $ \overrightarrow{T}(t)$ en dépend : si on change le sens de parcours de la courbe, alors ce vecteur sera remplacé par son opposé. Le repère de Serret-Frenet dépend ainsi du sens de parcours de la paramétrisation ainsi que de l'orientation du plan affine.



Courbure


Quelle est l'allure locale d'une courbe paramétrée $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ régulière de classe $ C^2$ ? On peut supposer, sans restriction, que cette courbe est paramétrée par abscisse curviligne. Pour connaître la forme, on va effectuer un développement limité de $ \gamma$ à l'ordre $ 2$ en $ s_0$ :

$\displaystyle \gamma(s) = \gamma(s_0) + (s-s_0) \gamma'(s_0) + \frac{(s-s_0)^2}{2} \gamma''(s_0) + o( (s-s_0)^2).
$

On sait que le vecteur $ \overrightarrow{T}(s) = \gamma'(s_0)$ est tangent à la courbe en $ \gamma(s_0)$. Si $ \gamma''(s_0)\neq 0$, le développement limité nous indique qu'à l'ordre deux, la courbe est "attirée" dans la direction $ \gamma''(s_0)$. Autrement dit, le vecteur $ \gamma''(s_0)$ nous donne des informations sur la forme de la courbe au voisinage de $ \gamma(s_0)$. Intuitivement, on voit aussi que plus $ \Vert\gamma''(s_0)\Vert$ est grand, plus la courbe est courbée. Effectivement, cette norme va nous permettre de définir la courbure (Figure 5).

Figure 5: Dérivée première et seconde d'une courbe paramétrée par abscisse curviligne
\includegraphics[height=5cm]{courbure2}

Proposition 3   Si $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ est une courbe paramétrée régulière de classe $ C^2$, alors $ \gamma''(s)$ est un vecteur colinéaire à $ \overrightarrow{N}(s)$. En particulier, il existe une application continue $ \overline{\kappa} : I \to \mathbb{R}$ telle que :

$\displaystyle \forall s \in I,\quad \gamma''(s) = \overrightarrow{T}'(s) = \overline{\kappa}(s) \overrightarrow{N}(s).
$

Démonstration : Pour tout $ s\in I$, on a $ \overrightarrow{T}(s).\overrightarrow{T}(s) = \Vert\overrightarrow{T}(s)\Vert^2=1$. En dérivant, cela donne $ \overrightarrow{T}'(s).\overrightarrow{T}(s) = 0$. On pose alors $ \overline{\kappa}(s) = \gamma''(s).\overrightarrow{N}(s)$.$ \square$ On est maintenant en mesure de définir la courbure d'une courbe paramétrée par abscisse curviligne.

Définition 9   Soit $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ une courbe paramétrée normale régulière de classe $ C^2$ et $ p=\gamma(s)$ un point de la courbe.


Exemple : Prenons la paramétrisation $ {\gamma}(\theta) = (R\cos \frac{\theta}{R},R\sin \frac{\theta}{R})$, avec $ \theta \in [0,2\pi ]$. On remarque que cette paramétrisation est normale car pour tout $ \theta$ on a $ \Vert\gamma'(\theta)\Vert=1$. La courbure au point $ \gamma(\theta)$ vaut :

$\displaystyle \kappa(\theta) = \Vert\gamma''(\theta)\Vert = \left\Vert\left(-\f...
...{\theta}{R},-\frac{1}{R}\sin \frac{\theta}{R}\right)\right\Vert = \frac{1}{R}.
$

La courbure d'un cercle de rayon $ R$ est donc constante et vaut $ R$.

Proposition 4   La courbure ne dépend pas de la paramétrisation et la courbure algébrique est défini au signe près (et dépend du sens de parcours de la courbe et de l'orientation du plan).
Plus précisément, prenons $ \gamma_1:I\to \mathbb{R}^2$ une courbe paramétrée normale et $ \gamma_2:J\to \mathbb{R}^2$ une reparamétrisation de $ \gamma$. Alors il existe $ \epsilon\in \{-1,1\}$ tel que :

$\displaystyle \forall p=\gamma_1(s)=\gamma_2(u)\in \mathcal{C}\quad \quad
\kappa_1(s)=\kappa_2(u)$   et$\displaystyle \quad
\overline{\kappa_1}(s)=\epsilon \overline{\kappa_2}(u)
$

$ \kappa_i$ et $ \overline{\kappa_i}$ sont les courbures et courbures algébriques de $ \gamma_i$ (avec $ i\in \{1,2\}$).

Démonstration : Admise.$ \square$



Interprétation géométrique


Si une courbe paramétrée $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ est normale, le point $ \gamma(s)$ avance à la même vitesse que son paramètre $ s$ (cela correspond au fait que la norme de la dérivée est constante égale à $ 1$). Avec cette paramétrisation, on a vu que le vecteur $ \gamma''(s)=\overline{\kappa}(s)\overrightarrow{N}(s)$ est orthogonal à $ \overrightarrow{T}(s)$ et le développement limité de $ \gamma$ à l'ordre deux peut se réécrire naturellement dans le repère de Serret-Frenet :

$\displaystyle \gamma(s) = \gamma(s_0) + (s-s_0) \overrightarrow{T}(s_0) + \overline{\kappa}(s) \frac{(s-s_0)^2}{2 } \overrightarrow{N}(s_0) + o( (s-s_0)^2).
$

Figure: Repère de Serret-Frenet $ {\mathcal{R}_i}=(\gamma(s_i),\vec{T}(s_i),\vec{N}(s_i))$ au point de paramètre $ s_i$ (avec $ i \in \{1,2,3\}$) : en $ \gamma(s_1)$, la courbure algébrique est négative et le vecteur $ \vec{N}(s_1)$ pointe dans la direction opposée au centre de courbure $ C(s_1)$. En $ \gamma (s_2)$, la courbure algébrique est nulle, il n'y a pas de centre de courbure. En $ \gamma(s_3)$ la courbure algébrique est positive et le vecteur $ \vec{N}(s_3)$ pointe vers le centre de courbure $ C(s_3)$.
\includegraphics[height=6cm]{serretfresnet}
En un point de paramètre $ s$, si la courbure $ \overline{\kappa}(s)$ est strictement positive, les vecteurs $ \overrightarrow{N}(s)$ et $ \gamma''(s)$ sont égaux et le vecteur $ \overrightarrow{N}(s)$ pointe vers le centre de courbure. Si la courbure est négative, alors $ \overrightarrow{N}(s) = 1/\overline{\kappa}(s) \gamma''(s)$ pointe dans la direction opposée au centre de courbure (Figure 6).

Proposition 5   Si $ \gamma$ a un point d'inflexion en $ s_0$, alors $ \kappa(s_0)=0$.

Démonstration : Il suffit de reprendre le développement limité.$ \square$

En général, si on prend une courbe paramétrée quelconque, il n'y a pas de raison pour que la paramétrisation soit normale. On peut alors utiliser la proposition suivante pour calculer la courbure :

Proposition 6   Soit $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ une courbe paramétrée régulière de classe $ C^2$. Alors pour tout $ t \in I$, on a :

$\displaystyle \overline{\kappa}(t) = \frac{\mbox{det}(\gamma'(t),\gamma''(t))}{...
...= \frac{\vert\mbox{det}(\gamma'(t),\gamma''(t))\vert}{\Vert\gamma'(t)\Vert^3}.
$

Démonstration : On note $ \widetilde{\gamma} = \gamma \circ s_{t_0}^{-1}$ la paramétrisation par abscisse curviligne (avec $ t_0\in I$) et on pose $ s=s_{t_0}(t)$. La formule :

$\displaystyle (s_{t_0}^{-1})'(s) = \frac{1}{s'_{t_0}(s_{t_0}^{-1}(s))}
= \frac{1}{\Vert\gamma'(s_{t_0}^{-1}(s))\Vert}
$

implique

$\displaystyle \widetilde{\gamma}'(s) = ( \gamma \circ s_{t_0}^{-1})'(s)
= \gam...
...})'(s)
= \frac{\gamma'(s_{t_0}^{-1}(s))}{\Vert\gamma'(s_{t_0}^{-1}(s))\Vert}.
$

En dérivant une deuxième fois, on a :

$\displaystyle \widetilde{\gamma}''(s) = \frac{\gamma''(s_{t_0}^{-1}(s))}{\Vert\gamma'(s_{t_0}^{-1}(s))\Vert^2} + \lambda(s) \gamma'(s_{t_0}^{-1}(s)),
$

$ \lambda$ est la dérivée de la fonction $ s\mapsto \frac{1}{\Vert\gamma'(s_{t_0}^{-1}(s))\Vert}$. On a donc :

   det$\displaystyle (\widetilde{\gamma}'(s),\widetilde{\gamma}''(s)) = \frac{\mbox{det}(\gamma'(t),\gamma''(t))}{\Vert\gamma'(t)\Vert^3}.
$

Par ailleurs, on a :

   det$\displaystyle (\widetilde{\gamma}'(s),\widetilde{\gamma}''(s)) =$   det$\displaystyle (\overrightarrow{T}(s),\kappa(s)\overrightarrow{N}(s)) = \overline{\kappa}(s),
$

ce qui permet de conclure.$ \square$

Le cercle de rayon $ \frac{1}{\kappa(t)}$ et tangent à la courbe $ \gamma$ au point $ \gamma(t)$ s'appelle le cercle osculateur au point $ \gamma(t)$.

Définition 10   Soit $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ une courbe paramétrée régulière et de classe $ C^2$.

Sur la Figure 6, on observe que les cercles osculateurs aux points $ \gamma(s_1)$ et $ \gamma(s_3)$ "épousent" bien la forme de la courbe. En fait, ils ont un contact d'ordre deux avec la courbe : plus précisément on peut montrer que la courbe paramétrée par abscisse curviligne et le cercle osculateur paramétré par abscisse curviligne ont un développement limité qui coïncide à l'ordre deux au voisinage du point $ \gamma(s_i)$ (avec $ i\in\{1,3\}$).



Formules de Serret-Frenet


Le repère de Serret Frenet est défini en chaque point d'une courbe paramétrée régulière. Les formules de Serret-Frenet expriment la façon dont ce repère bouge le long de la courbe. Plus précisément, elles donnent les dérivées de ce repère dans la base de Serret-Frenet.

Proposition 7 (Formules de Serret Frenet)   Soit $ \gamma : I \to \mathbb{R}^2$ une courbe paramétrée normale régulière de classe $ C^2$. Alors pour tout $ s\in I$, on a :

\begin{displaymath}
\left\{
\begin{array}{l}
\overrightarrow{T}'(s) = \overline{...
...verline{\kappa}(s) \overrightarrow{T}(s)\\
\end{array}\right.
\end{displaymath}

Démonstration : La première formule a déjà été montrée. Le vecteur $ \overrightarrow{N}(s)$ étant unitaire, on a :

$\displaystyle \forall s \in I\quad \overrightarrow{N}(s).\overrightarrow{N}(s) = 1.
$

En dérivant, on obtient

$\displaystyle \forall s \in I\quad \overrightarrow{N}'(s).\overrightarrow{N}(s) = 0.
$

Le vecteur $ \overrightarrow{N}'(s)$ est donc colinéaire à $ \overrightarrow{T}(s)$. Par ailleurs, on a :

$\displaystyle \forall s \in I\quad \overrightarrow{T}(s).\overrightarrow{N}(s)=0.
$

En dérivant, on obtient

$\displaystyle \overrightarrow{T}'(s).\overrightarrow{N}(s) + \overrightarrow{T}(s).\overrightarrow{N}'(s) =0,
$

et donc $ \overline{\kappa}(s) = -\overrightarrow{N}'(s).\overrightarrow{T}(s)$, ce qui permet de conclure. $ \square$


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