Comparaison de suites

Le résultat de base pour comparer deux suites est le suivant.

Théorème 3   Soient $ (u_n)$ et $ (v_n)$ deux suites de réels convergentes. Si pour tout $ n\in \mathbb{N}$, $ u_n\leqslant v_n$, alors :

$\displaystyle \lim_{n\rightarrow\infty}u_n \leqslant \lim_{n\rightarrow\infty}v_n\;.
$

Démonstration : Supposons $ \lim u_n> \lim v_n$. Alors la limite de la suite $ (u_n-v_n)$ est strictement positive. Notons $ l$ cette limite. Pour $ n$ assez grand, $ u_n-v_n\in
[\frac{l}{2},\frac{3l}{2}]$, donc $ u_n-v_n>0$, ce qui contredit l'hypothèse.$ \square$

Observons que la conclusion reste vraie si au lieu d'être comparables pour tout $ n\in \mathbb{N}$, $ u_n$ et $ v_n$ le sont «à partir d'un certain rang». Ceci vaut d'ailleurs pour tous les résultats de cette section. Par contre le fait de supposer $ u_n<v_n$ implique seulement $ \lim u_n\leqslant \lim v_n$ : bien que $ 1/n<2/n$, les deux suites $ (1/n)$ et $ (2/n)$ ont la même limite. Le théorème 3 ne permet pas de démontrer que l'une des deux suites $ (u_n)$ ou $ (v_n)$ converge. Pour cela, on utilise souvent le résultat suivant.

Théorème 4   Soient $ (u_n)$ et $ (v_n)$ deux suites de réels telles que $ (v_n)$ tend vers 0. Si pour tout $ n\in \mathbb{N}$, $ \vert u_n\vert\leqslant \vert v_n\vert$, alors $ u_n$ tend vers 0.

Démonstration : Pour tout $ \varepsilon >0$, il existe $ n_0$ tel que pour $ n>n_0$ :

$\displaystyle \vert u_n\vert\leqslant \vert v_n\vert\leqslant \varepsilon \;,
$

d'où le résultat.$ \square$

On en déduit le corollaire suivant que l'on trouve dans certains livres sous le nom de «théorème des gendarmes».

Corollaire 1   Soient $ (u_n)$, $ (v_n)$ et $ (w_n)$ trois suites de réels telles que $ (u_n)$ et $ (w_n)$ convergent vers la même limite $ l$, et pour tout $ n\in \mathbb{N}$,

$\displaystyle u_n\leqslant v_n\leqslant w_n\;.
$

alors $ (v_n)$ converge vers $ l$.

Démonstration : Il suffit d'appliquer le théorème 4 aux deux suites $ (w_n-v_n)$ et $ (w_n-u_n)$. $ \square$

Voici un exemple d'application. Soit

$\displaystyle u_n=\frac{n+(-1)^n}{n+2}\;.
$

Comme $ (-1)^n$ vaut $ +1$ ou $ -1$, on a l'encadrement suivant.

$\displaystyle \frac{n-1}{n+2}\leqslant u_n\leqslant \frac{n+1}{n+2}\;.
$

Les deux bornes de cette double inégalité tendent vers $ 1$, donc $ \lim u_n=1$. La comparaison vaut aussi pour les limites infinies.

Théorème 5   Soient $ (u_n)$ et $ (v_n)$ deux suites de réels telles que pour tout $ n\in \mathbb{N}$, $ u_n\leqslant v_n$.
  1. Si $ u_n$ tend vers $ +\infty$ alors $ v_n$ tend vers $ +\infty$.
  2. Si $ v_n$ tend vers $ -\infty$ alors $ u_n$ tend vers $ -\infty$.

Démonstration : Pour tout $ A$, il existe $ n_0$ tel que pour $ n\geqslant n_0$ :

$\displaystyle v_n\geqslant u_n\geqslant A\;,
$

donc $ v_n$ tend vers $ +\infty$ si $ u_n$ tend vers $ +\infty$. La démonstration de l'autre affirmation est analogue.$ \square$

On dispose d'un vocabulaire adapté à la comparaison des suites.

Définition 9   Soient $ (u_n)$ et $ (v_n)$ deux suites de réels.
  1. On dit que la suite $ (u_n)$ est dominée par la suite $ (v_n)$ si :

    $\displaystyle \exists M\in\mathbb{R} ,\; \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad
\vert u_n\vert\leqslant M\vert v_n\vert\;.
$

    On écrit $ u_n=O(v_n)$, qui se lit «$ u_n$ est un grand O de $ v_n$».
  2. On dit que la suite $ (u_n)$ est négligeable devant la suite $ (v_n)$ si :

    $\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists n_0 ,\; \forall n\geqslant n_0\;,\quad
\vert u_n\vert\leqslant \varepsilon \vert v_n\vert\;.
$

    On écrit $ u_n=o(v_n)$, qui se lit «$ u_n$ est un petit o de $ v_n$».
  3. On dit que la suite $ (u_n)$ est équivalente à la suite $ (v_n)$ si :

    $\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists n_0 ,\; \forall n\geqslant n_0 \;,\quad
\vert u_n-v_n\vert\leqslant \varepsilon \vert v_n\vert\;.
$

    On écrit $ u_n\sim v_n$, qui se lit «$ u_n$ est équivalent à $ v_n$».

Très souvent, on appliquera ces définitions pour une suite $ (v_n)$ non nulle ; dans ce cas, la comparaison se lit sur le rapport $ u_n/v_n$.

Proposition 3   Soient $ (u_n)$ et $ (v_n)$ deux suites de réels. On suppose que les $ v_n$ sont tous non nuls. Alors :
  1. $ (u_n)$ est dominée par $ (v_n)$ si et seulement si $ (u_n/v_n)$ est bornée :

    $\displaystyle \exists M\in\mathbb{R} ,\; \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad
\left\vert\frac{u_n}{v_n}\right\vert\leqslant
M\;.
$

  2. $ (u_n)$ est négligeable devant $ (v_n)$ si et seulement si $ (u_n/v_n)$ tend vers 0 :

    $\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists n_0 ,\; \forall n\geqslant n_0\;,\quad
\left\vert\frac{u_n}{v_n}\right\vert\leqslant \varepsilon \;.
$

  3. $ (u_n)$ est équivalente à $ (v_n)$ si et seulement si $ (u_n/v_n)$ tend vers $ 1$ :

    $\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists n_0 ,\; \forall n\geqslant n_0 \;,\quad
\left\vert\frac{u_n}{v_n}-1\right\vert\leqslant \varepsilon \;.
$

Par exemple :

$\displaystyle \sqrt{4n^2+1}=O(n)\;,\;
\sqrt{4n^2+1}=o(n^2)\;,\;
\sqrt{4n^2+1}\sim 2n\;.
$

L'équivalent de $ n!$ donné par la formule de Stirling est souvent utile :

$\displaystyle n!\;\sim\;\left(\frac{n}{\mathrm{e}}\right)^n\sqrt{2\pi n}\;.
$

Observons que $ u_n=o(v_n)$ entraîne $ u_n+v_n\sim v_n$, ce qui permet de calculer les équivalents de toutes les fonctions polynomiales de $ n$. Les équivalents sont souvent utilisés pour le calcul de limites de produits ou de quotients, car si $ u_n\sim v_n$, et $ u'_n\sim v'_n$ alors $ u_nu'_n\sim
v_nv'_n$. Voici un exemple.

$\displaystyle u_n = \frac{\sqrt{n^2+n+1}}{\sqrt[3]{8n^3+n^2}}\;.
$

Comme $ 1+n=o(n^2)$, $ n^2+n+1\sim n^2$, donc $ \sqrt{n^2+n+1}\sim
n$. Pour le dénominateur, $ \sqrt[3]{8n^3+n^2}\sim 2n$, donc $ \lim u_n =1/2$.

Attention, il ne faut pas utiliser des équivalents pour des sommes. Par exemple :

$\displaystyle u_n=n+(-1)^n\sim n$   et$\displaystyle \quad
v_n=-n+(-1)^n\sim -n$

Pourtant, $ u_n+v_n$ n'est pas équivalent à 0. Voici trois résultats de comparaison de suites tendant vers l'infini, à connaître par c\oeur.

Théorème 6   Soit $ a$ un réel strictement positif et $ r$ un réel strictement supérieur à $ 1$. Alors :
  1. $ r^n = o(n!)$ ;
  2. $ n^a = o(r^n)$ ;
  3. $ \ln(n)=o(n^a)$.

Démonstration
  1. Ecrivons le rapport de $ r^n$ à $ n!$ comme suit.

    $\displaystyle \frac{r^n}{n!} = \prod_{k=1}^n \frac{r}{k}\;.
$

    La suite $ (r/k)_{k\in\mathbb{N}}$ tend vers 0. Donc il existe $ k_0$ tel que pour tout $ k\geqslant k_0$, $ r/k\leqslant 1/2$. Donc pour $ n\geqslant
k_0$ :

    $\displaystyle \frac{r^n}{n!}\leqslant
\left(\prod_{k=1}^{k_0}\frac{r}{k}\right) \left(\frac{1}{2}\right)^{n-k_0}\;.
$

    La suite $ (1/2)^{n-k_0}$ tend vers 0, d'où le résultat.
  2. Posons $ r=1+h$, avec $ h>0$, et écrivons la formule du binôme de Newton :

    $\displaystyle r^n = (1+h)^n = \sum_{k=0}^n \binom{n}{k} h^k\;.
$

    Pour tout $ k=1,\ldots,n$, on peut minorer $ r^n$ par $ \binom{n}{k}h^k$. Fixons $ k=\lfloor a\rfloor+1$. Pour $ n>2k$, le coefficient binomial $ \binom{n}{k}$ peut être minoré comme suit.

    $\displaystyle \binom{n}{k} = \frac{n(n-1)\cdots(n-k+1)}{k!}>
\left(\frac{n}{2}\right)^k  \frac{1}{k!}\;.
$

    Donc pour tout $ n>2k$ :

    $\displaystyle \frac{n^a}{r^n}<\left(\frac{2^k k!}{h^k}\right)
\left(\frac{1}{n}\right)^{k-a}\;.
$

    Le membre de droite tend vers 0, car par définition $ k=\lfloor
a\rfloor +1>a$.
  3. Pour tout $ n>0$, posons :

    $\displaystyle k_n = \lfloor \ln(n)\rfloor$   et$\displaystyle \quad \alpha_n = \ln(n)-k_n\;.
$

    La suite $ (k_n)$ est une suite d'entiers qui tend vers l'infini, car $ k_n> \ln(n)-1$. Les $ \alpha_n$ sont des réels compris entre 0 et $ 1$. Ecrivons :

    $\displaystyle \frac{\ln(n)}{n^a} = \frac{k_n+\alpha_n}{\mathrm{e}^{a(k_n+\alpha...
...
\leqslant \frac{k_n}{(\mathrm{e}^a)^{k_n}}+ \frac{1}{(\mathrm{e}^a)^{k_n}}\;.
$

    Dans le membre de droite, le premier terme peut-être vu comme une suite extraite de la suite $ n/r^n$, avec $ r=\mathrm{e}^a$. Nous avons vu que cette suite tend vers 0 au point 2. Donc toute suite extraite tend aussi vers 0. Le dénominateur du second terme tend vers l'infini. Donc $ \ln(n)/n^a$ est majoré par la somme de deux suites qui convergent vers 0. D'où le résultat.
$ \square$ Il est bon d'avoir en tête une échelle des «infiniment petits» et des «infiniment grands», c'est-à-dire des suites qui tendent vers 0 ou vers $ +\infty$. Pour présenter ces échelles sous forme synthétique, nous utilisons la notation $ u_n\ll v_n$, qui est équivalente à $ u_n=o(v_n)$.
  1. Infiniment petits 

    $\displaystyle \frac{1}{n!} \ll \frac{1}{10^n} \ll \frac{1}{2^n} \ll \frac{1}{n^...
...{1}{n}\ll \frac{1}{\sqrt{n}}
\ll\frac{1}{\ln(n)}\ll\frac{1}{\ln(\ln(n))}\ll 1
$

  2. Infiniment grands 

    $\displaystyle 1\ll \ln(\ln(n))\ll \ln(n) \ll \sqrt{n}\ll n \ll n^2
\ll 2^n \ll 10^n \ll n!
$


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