La série harmonique

Nous vous avons proposé plusieurs démonstrations du fait que la série harmonique $ \sum \frac{1}{n}$ diverge. Voici la toute première en date, celle de Nicolas Oresme (1325-1382)4. Son idée consiste à regrouper les termes par blocs en doublant la taille des blocs à chaque fois :

$\displaystyle 1+\left(\frac{1}{2}\right)+\left(\frac{1}{3}+\frac{1}{4}\right)
+...
...right)+
\cdots+
\left(\frac{1}{1+2^{k-1}}+\cdots+\frac{1}{2^{k}}\right)+\cdots
$

Le $ k$-ième bloc contient $ 2^{k-1}$ termes, chacun au moins égal à $ 2^{-k}$ : la somme de ces termes est donc supérieure à $ 1/2$. Oresme conclut «il y a ici une infinité de parties dont chacune sera plus grande que la moitié d'un pied, donc le tout sera infini». Pas mal pour l'époque ! D'autant qu'il est aussi le premier à avoir énoncé en toute généralité la somme de la série géométrique. Mais au XIVesiècle, le but était moins mathématique que philosophique : les séries étaient encore un objet de méditation sur l'infini, dans la lignée du traitement par Aristote des paradoxes de Zénon. Il faudra attendre trois siècles, l'invention des logarithmes et du calcul intégral pour voir les séries se développer comme sujet mathématique. La seconde démonstration de la divergence de la série harmonique est celle du prêtre italien Pietro Mengoli (1626-1686). Lui regroupe les termes trois par trois, en observant que pour tout $ n\geqslant 2$ :

$\displaystyle \frac{1}{n-1}+\frac{1}{n}+\frac{1}{n+1}> \frac{3}{n}\;.
$

Il en déduit que :

$\displaystyle 1+\left(\frac{1}{2}+\frac{1}{3}+\frac{1}{4}\right)+
\left(\frac{1...
...\right)+\cdots+
\left(\frac{1}{3k-1}+\frac{1}{3k}+\frac{1}{3k+1}\right)+\cdots
$

est strictement supérieur à

$\displaystyle 1+\frac{3}{3}+\frac{3}{6}+\frac{3}{9}+\cdots+\frac{3}{3k}+\cdots
$

Si la série harmonique avait une somme $ s$ finie, celle-ci devrait être strictement supérieure à $ 1+s$, ce qui est impossible. Donc la somme est infinie : joli aussi, non ? C'est Mengoli qui a démontré que la série harmonique alternée $ \sum
\frac{(-1)^{n-1}}{n}$ a pour somme $ \ln(2)$, et nous vous avons proposé sa démonstration dans le devoir. Il avait aussi remarqué que

$\displaystyle \frac{1}{n^2}<\frac{1}{n(n-1)}=\frac{1}{n-1}-\frac{1}{n}\;,
$

et en avait déduit

$\displaystyle \sum_{n=1}^{+\infty} \frac{1}{n^2}<2\;,
$

sans réussir à calculer la somme exacte. Ce sera un des grands succès d'Euler, presque un siècle plus tard. Au fait : pourquoi série harmonique ? En musique, une série harmonique est une série de sons dont la fréquence est un multiple entier du son fondamental. Mettons que vous jouiez un La, qui comme le dit votre diapason est un son de 440 Hz. Le La de l'octave au-dessus est à 880 Hz, celui de l'octave en-dessous à 220 Hz. La note de tierce majeure, Do#, est dans un rapport de $ 5/4$ avec le son fondamental : donc une fréquence de 550 Hz (ou 275 ou 1100...). Quant à la quinte qui complète l'accord parfait (La-Do#-Mi pour La majeur), son rapport avec le son fondamental est $ 3/2$, donc une fréquence de 660 Hz (ou 330, ou 1320...). Si vous ne jouez que les notes de l'accord parfait de La Majeur (ça peut devenir lassant à la longue), vous entendrez des fréquences de 110, 220, 330, 440, 550 Hz...donc des vibrations dont les longueurs d'onde sont, à une constante près des inverses d'entiers. Si vous vous ennuyez pendant le concert, songez que pendant au moins 2 millénaires après Pythagore, la musique a été considérée comme une partie des mathématiques, au même titre que l'arithmétique et l'analyse.

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