Maintenant que nous connaissons ce que nous avons pompeusement appelé les exemples fondamentaux, il reste à apprendre à tirer de ces exemples trop fondamentaux pour être vraiment utiles des exemples plus concrets.
Pour cela, introduisons une nouvelle notion.
(i) L'ensemble n'est pas vide.
(ii) Pour tous et
de
, le produit
est aussi dans
.
(iii) Pour tout de
, l'inverse
de
est aussi dans
.
Avant de commenter ce que ça veut dire, donnons tout de suite une proposition très simple, et utile en pratique pour vérifier qu'un sous-ensemble d'un groupe est un sous-groupe.
(i) L'ensemble n'est pas vide.
(iv)
Pour tous et
de
, le produit
est aussi dans
.
Démonstration : Supposons que est un sous-groupe de
, c'est-à-dire qu'il vérifie
(i), (ii) et (iii). Il est alors clair que (i) est vérifiée.
Montrons que vérifie (iv). Soit
et
deux éléments de
. En
appliquant (iii) à
, on constate que
est aussi dans
,
puis en appliquant (ii) à
et
que le produit
aussi. Cette partie de la preuve est déjà finie !
Supposons maintenant que vérifie (i) et (iv). Vérifier
(i) est bien sûr sans problème.
Avant de montrer que
vérifie (ii) et (iii), montrons
préalablement que
appartient à
, où
désigne
l'élément neutre de
. En effet
n'étant pas vide, on peut prendre un
élément
dans
, puis
appliquer l'hypothèse (iv) à
et
pour conclure
que
appartient à
.
Montrons maintenant que vérifie (iii). Soit
un élément de
. Puisqu'on sait maintenant que
aussi est dans
, on peut appliquer
(iv) à
et
pour obtenir
, c'est-à-dire
.
Montrons enfin que vérifie (ii). Soit
et
deux éléments de
. Par la propriété (iii) appliquée à
,
, puis par la
propriété (iv) appliquée à
et
,
,
c'est-à-dire
.
Bien que le résultat qui suive soit très simple à démontrer, son importance lui fait mériter l'appellation de :
Démonstration : Il ne faut pas manquer de vérifier la possibilité de restreindre
la loi de composition initiale, application de
vers
à une loi de composition sur
, c'est-à-dire une application de
vers
. Comme on veut
restreindre non seulement l'ensemble de départ mais aussi
l'ensemble d'arrivée,
on est dans la situation où il faut spécialement prendre garde. Mais la
propriété (ii) de la définition des «sous-groupes»
assure précisément
que la loi de composition de
envoie l'ensemble
dans
et que la
restriction a donc bien un sens.
L'associativité de cette restriction est alors évidente.
Dans la preuve de la proposition précédente, on a montré au passage
que le neutre de était élément de
. Il est
alors évidemment neutre pour
la loi de composition restreinte à
.
Enfin la propriété (iii) garantit l'existence d'un symétrique
pour chaque élément de
.
Voyons maintenant comment ce théorème permet de fabriquer plein de groupes nouveaux et intéressants.
(On rappellera, au cas où ce serait nécessaire,
qu'une application est dite
strictement croissante lorsque pour tous
et
,
entraîne
).
La bonne idée est de montrer que est un sous-groupe du groupe
.
Lançons-nous.
La vérification de (i) est évidente : il est
clair que l'application identique est une bijection strictement croissante de
sur
.
Passons à (ii). Soit et
deux bijections
strictement croissantes de
sur
. On sait
déjà que
est
une bijection ; montrons qu'elle est strictement croissante.
Soit
et
deux
réels avec
; alors
(croissance de
)
puis
(croissance de
). Ceci montre bien que
est strictement
croissante.
Vérifions enfin (iii). Soit une bijection strictement
croissante de
vers
. Il est bien clair que
est
bijective ; vérifions qu'elle est strictement croissante.
Soit
et
deux réels
avec
. On ne peut avoir
, car
est
injective ; on ne peut avoir
, car
étant strictement
croissante on en déduirait l'inégalité
,
qui est fausse. Par
élimination on a donc bien
.
Le théorème de Lagrange est un résultat simple et élégant, proposé ici surtout pour le plaisir de faire une démonstration agréable.
Démonstration : Elle repose sur l'introduction de la relation définie
pour tous éléments
de
par :
Étape 1. Vérifions successivement les trois propriétés requises des relations d'équivalence.
Soit un élément de
. Comme
,
. La
relation
est donc réflexive.
Soit et
deux éléments de
, avec
, donc
. En prenant l'inverse,
, c'est-à-dire
, soit
: la
relation
est donc
symétrique.
Soit ,
et
trois éléments de
, avec
et
. On a
donc
et
. En multipliant entre eux ces deux
éléments de
, on obtient que
appartient à
, c'est-à-dire
, soit
. La relation
est donc transitive.
La relation est donc une relation d'équivalence.
Étape 2. Soit un élément fixé de
.
L'objectif est de montrer que sa
classe d'équivalence
possède le
même nombre d'éléments que
. Pour ce
faire, une bonne idée serait de montrer qu'il
existe une bijection entre
et
.
Et pour montrer qu'une bijection existe, une bonne idée pourrait
être d'en sortir une de sa manche
(en mathématiques, on dit «exhiber»), et voir qu'elle convient !
Introduisons donc l'application
définie
par : pour tout
de
,
Vérifions que est une bijection. Soit
un élément de
tel que
. Cherchons
les antécédents de
. Un élément
de
est antécédent de
par
si
et seulement si
, c'est-à-dire si et
seulement si
. Il y a
donc au plus un antécédent, à savoir
, et comme en outre
,
l'élément
est dans
et il y a exactement un antécédent.
Ceci montre que est une bijection, et
compte donc exactement autant d'éléments
que
.
Étape 3. Il ne reste plus qu'à conclure. On dispose d'une relation
d'équivalence , donc d'un ensemble-quotient
, qui constitue une
partition de
. Chacune des parties de
figurant dans cette partition
possède exactement
éléments ; le
nombre total d'éléments de
est donc égal au produit de
par le nombre de parties de
figurant dans la partition
et est en
particulier un multiple de
.