La première idée qui peut venir à l'esprit est de tenter de modéliser la fraction par le couple qui contient à première vue la même information : ainsi la fraction correspondra au couple . Une telle idée nous met sur la bonne piste, mais elle se heurte à un problème : le couple représentera la fraction ; la même fraction correspond donc à plusieurs couples, et l'ensemble de tous les couples est donc trop gros.
On pourrait penser à n'utiliser que des couples avec et premiers entre eux ; c'est vraisemblablement faisable, mais la preuve risque d'être extrêmement lourde, avec des pgcd à simplifier de partout.
Non, décidément, on ne fera rien de simple si on n'a pas compris ce qu'est un ensemble-quotient, alors que si on maîtrise cette notion, la preuve est longue à écrire, mais sans obstacles.
Dans tout le chapitre, désigne un corps commutatif. Notons . La construction utilise simplement le fait que est un anneau intègre, et nullement en réalité que est l'anneau des polynômes.
Signalons une fois encore que les deux formules de la définition précédente se comprennent aisément si on a en tête qu'un couple a vocation à décrire la fraction (qui n'aura un sens propre qu'une fois la construction terminée) : elles sont les reproductions des formules qu'on sait bien utiliser pour multiplier ou additionner des fractions.
L'ensemble a une bonne tête vu de loin, mais de près il est trop gros. Pour le faire maigrir, introduisons une relation d'équivalence sur .
Si nous savions déjà donner un sens aux barres de fractions, nous aurions écrit la condition sous la forme , la rendant ainsi compréhensible, mais comme ce symbole ne nous sera disponible qu'une fois finie la construction, on a dû donner une forme moins limpide.
Démonstration : En effet, et impliquent , voyez-vous. (Indication : comme , on calcule .)
On va alors définir des opérations et sur ; le principe est le même que celui qui nous a permis de définir addition et multiplication sur : on définit simplement ces opérations sur des représentants des classes d'équivalence, et on vérifie méthodiquement que le résultat obtenu ne dépend pas de la classe utilisée.
Cette «définition» n'en sera une qu'une fois vérifiée la proposition suivante.
Démonstration : On fait la vérification soigneusement pour l'addition, avec «renvoi au lecteur» pour la multiplication.
Soit un représentant quelconque de la classe de et un représentant quelconque de la classe de . Il faut vérifier que
Cela revient à comparer les produits et définis par :
On a donc bien construit un ensemble puis une addition et une multiplication sur cet ensemble.
Démonstration : La vérification de toutes les propriétés de la définition d'un corps commutatif est simple, méthodique et lourde. On se bornera ici à justifier l'existence de l'inverse.
Si une classe n'est pas nulle, on remarque d'abord que , puisque . La classe existe donc ; ce sera l'inverse de : en effet le produit des deux est qui est égal à la classe de qui est le neutre pour la multiplication.