Polynômes sur $ \mathbb{C}$ versus polynômes sur $ \mathbb{R}$

Toute cette section repose sur un théorème qu'il n'est pas possible de démontrer dans un cours de notre niveau.

Théorème de d'Alembert-Gauss Tout polynôme de $ \mathbb{C}[X]$ non constant admet au moins une racine complexe.

Démonstration : Elle repose sur un peu d'analyse, mais d'analyse complexe, qui n'est pas traitée avant l'année de L3.$ \square$

Par contre, en admettant le théorème de d'Alembert-Gauss, on peut caractériser les polynômes irréductibles de $ \mathbb{C}[X]$.

Corollaire 2   Dans $ \mathbb{C}[X]$, les polynômes irréductibles sont exactement les polynômes du premier degré.

Démonstration : On sait déjà que dans n'importe quel corps commutatif les polynômes du premier degré sont irréductibles ; il est très facile de voir que les constantes (non nulles) ne possèdent que $ 1$ comme diviseur unitaire et que 0 en possède une infinité : les constantes ne sont donc irréductibles sur aucun corps.

Soit maintenant un $ P$ de degré supérieur ou égal à $ 2$ dans $ \mathbb{C}[X]$. Par le théorème précédent, $ P$ possède au moins une racine $ a$. Mais on sait alors expliciter trois diviseurs unitaires de $ P$ : la constante $ 1$, le polynôme du premier degré $ X-a$ et le polynôme $ P/{}$ (coefficient dominant de $ P$), qui est de degré supérieur ou égal à deux. Ainsi $ P$ n'est pas irréductible.$ \square$

Définition 17   On dit qu'un polynôme est scindé lorsqu'il peut s'écrire sous forme de produit de facteurs du premier degré.

Corollaire 3   Dans $ \mathbb{C}[X]$, tout polynôme non nul est scindé.

Démonstration : Sa décomposition en facteurs irréductibles est une décomposition en produit de facteurs du premier degré.$ \square$

Dans $ \mathbb{R}[X]$, les choses sont légèrement plus compliquées, mais pas tant que ça.

Proposition 15   Dans $ \mathbb{R}[X]$ les polynômes irréductibles sont exactement les polynômes du premier degré et les polynômes du deuxième degré à discriminant strictement négatif.

Avant de donner la preuve, rappelons que le discriminant du polynôme $ P=aX^2+bX+c$ vaut

$\displaystyle \mathrm{disc}(P)=b^2-4ac.
$

Démonstration : On sait déjà que les polynômes du premier degré sont irréductibles. Soit maintenant $ P$ du deuxième degré ; s'il a un diviseur unitaire autre que les deux évidents, celui-ci est du premier degré, donc $ P$ a une racine et son discriminant est positif ou nul. Les polynômes du deuxième degré à discriminant strictement négatif sont donc irréductibles.

Réciproquement, il est clair que les polynômes du deuxième degré à discriminant positif ou nul sont factorisables, donc pas irréductibles. Soit enfin un polynôme $ P$ de degré supérieur ou égal à $ 3$. Si $ P$ admet une racine réelle $ a$, $ P$ n'est pas irréductible de façon quasi évidente. Sinon, considérons pendant quelques lignes $ P$ comme un polynôme à coefficients complexes. Par le théorème de d'Alembert-Gauss, il admet au moins une racine complexe $ a$, qui n'est pas réelle puisqu'on a supposé $ P$ sans racine réelle. En profitant de ce que le conjugué de la somme est la somme des conjugués, que le conjugué du produit est le produit des conjugués et que chaque coefficient de $ P$ est invariant par conjugaison, on voit qu'on a aussi $ P(\overline a)=0$. Les polynômes $ X-a$ et $ X-\overline a$ étant deux irréductibles distincts dans $ \mathbb{C}[X]$, le fait qu'ils divisent tous deux $ P$ entraîne que leur produit divise $ P$ dans $ \mathbb{C}[X]$. Mais ce produit vaut $ (X-a)(X-\overline
a)=X^2-2\mathrm{Re}(a)X+\vert a\vert^2$ et est donc un polynôme $ B$ du deuxième degré à coefficients réels.

Si on est distrait, on pourra croire qu'on a ainsi trouvé en $ B$ un diviseur unitaire non évident de $ P$ dans $ \mathbb{R}[X]$ et conclure que $ P$ n'est pas irréductible. En réalité, on glisserait sur un détail en affirmant ceci : on sait en effet que $ B$ divise $ P$ dans $ \mathbb{C}[X]$ mais il nous faut encore vérifier qu'il le divise dans $ \mathbb{R}[X]$. Pour ce faire, effectuons la division euclidienne de $ P$ par $ B$ dans $ \mathbb{R}[X]$ : elle fournit des polynômes $ Q$ et $ R$, avec $ \deg R<2$, tels que $ P=BQ+R$. Ces polynômes de $ \mathbb{R}[X]$ peuvent aussi être vus comme des polynômes à coefficients complexes, donc $ P=BQ+R$ est aussi la division euclidienne de $ P$ par $ B$ dans $ \mathbb{C}[X]$. Mais on sait que $ B$ divise $ P$ dans $ \mathbb{C}[X]$ et que la division euclidienne est unique ; donc $ R=0$, donc $ P=BQ$ pour un $ Q$ à coefficients réels, et on a bien montré que $ B$ divise $ P$ dans $ \mathbb{R}[X]$ aussi.

Une fois cet obstacle franchi, on conclut comme dit au début du paragraphe précédent : on a trouvé un diviseur unitaire non évident de $ P$ et celui-ci ne peut donc pas être irréductible.$ \square$


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