Le cinquième postulat

Les Éléments sont un traité mathématique et géométrique, constitué de 13 livres organisés thématiquement, probablement écrit par Euclide vers 300 avant J.-C. Il comprend une collection de définitions, axiomes, théorèmes et démonstrations sur la géométrie et les nombres.

C'est le plus ancien exemple connu d'un traitement axiomatique et systématique de la géométrie et son influence sur le développement de la science occidentale est fondamentale. Il s'agit du livre de mathématiques le plus lu au cours de l'histoire : les Éléments furent l'un des premiers livres imprimés et ont connu depuis plus de 1000 éditions. Pendant des siècles, vos prédecesseurs ont appris les mathématiques non pas dans des polycopiés, mais dans les Éléments. Le livre I contient 5 postulats de géométrie plane.

  1. Un segment de droite peut être tracé en joignant deux points quelconques.
  2. Un segment de droite peut être prolongé indéfiniment en une ligne droite.
  3. Etant donné un segment de droite quelconque, un cercle peut être tracé en prenant ce segment comme rayon et l'une de ses extrémités comme centre.
  4. Tous les angles droits sont congruents
  5. Si deux droites sont sécantes avec une troisième de telle façon que la somme des angles intérieurs d'un côte soit inférieure à deux angles droits, alors ces deux droites sont forcément sécantes de ce côté.
La contraposée du cinquième postulat est que si deux droites ne se coupent pas, alors la somme des angles intérieurs à toute sécante est égale à $ \pi$. En conséquence, par un point donné, il ne peut passer qu'une parallèle à une droite donnée.

Pour cette raison, le cinquième postulat s'appelle le postulat des parallèles. Il a toujours semblé moins évident que les autres, et de nombreux mathématiciens ont pensé qu'il pouvait être démontré à partir des précédents. Pendant des siècles, toutes les tentatives échouèrent. La plupart d'entre elles étaient des essais de démonstration par l'absurde. Nombreux furent ceux qui conclurent à une contradiction devant ce qu'ils percevaient comme une impossibilité «évidente»  mais qui n'était nullement une contradiction mathématique. Parmi ces courageux, Giovanni Saccheri (1667-1733) mérite une mention spéciale. En 1733, il publie «Euclides ab omni naevo vindicatus»  (Euclide lavé de toute tache). Partant du postulat que par un point on peut faire passer une infinité de droites distinctes qui ne coupent pas une droite donnée, Saccheri démontre quantité de théorèmes, et devant leur évidente bizarrerie, conclut qu'il a démontré par l'absurde le cinquième postulat d'Euclide.

Figure 15: Le disque de Poincaré : modèle de la géométrie hyperbolique.
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Pourtant, les résultats de Saccheri sont maintenant des théorèmes connus de la géométrie hyperbolique. Ce n'est qu'au XIXe siècle que Lobachevski, Boliaï, et sans doute Gauss, reconnurent qu'il était impossible de démontrer le cinquième postulat d'Euclide : on obtient simplement des géométries différentes avec des postulats différents.
  1. par un point ne passe aucune parallèle à une droite donnée : géométrie sphérique
  2. par un point passe exactement une parallèle à une droite donnée : géométrie euclidienne
  3. par un point passe une infinité de parallèles à une droite donnée : géométrie hyperbolique
Parmi les conséquences, la somme des angles d'un triangle, qui vaut $ \pi$ en géométrie euclidienne, est supérieure à $ \pi$ en géométrie sphérique, et inférieure à $ \pi$ en géométrie hyperbolique. Voici l'expression du théorème d'Al-Kashi 4 dans les trois géométries.
  1. géométrie sphérique : $ \cos(a)=\cos(b)\cos(c)+\sin(b)\sin(c)\cos(\alpha)$
  2. géométrie euclidienne : $ a^2=b^2+c^2-2bc\cos(\alpha)$
  3. géométrie hyperbolique : $ \cosh(a)=\cosh(b)\cosh(c)-\sinh(b)\sinh(c)\cos(\alpha)$
La géométrie sphérique est facile à visualiser : sur une sphère en dimension $ 3$, il suffit de baptiser «droite»  tout cercle de rayon maximal (intersection de la sphère avec un plan passant par le centre). La géométrie hyperbolique est moins facile à imaginer. Henri Poincaré (1854-1912) a proposé deux modèles équivalents. Dans le premier, les points sont ceux d'un demi-plan de la géométrie euclidienne, mais on appelle «droite»  les demi-cercles centrés sur l'axe des abscisses. Dans le second, les points sont ceux d'un disque, et les «droites»  sont les arcs de cercle qui coupent orthogonalement le cercle bordant le disque. La figure 15 montre des droites hyperboliques, soit orthogonales deux à deux, soit parallèles. Elles forment des «triangles»  rectangles dont deux côtés sont infinis et deux angles nuls.
Figure: «Limite circulaire»  de M.C. Escher.
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Les triangles de la figure 15 constituent un pavage du plan hyperbolique. Les possibilités pour paver le plan hyperbolique sont beaucoup plus étendues qu'en géométrie euclidienne : on peut par exemple utiliser des pavés à 4 côtés dont deux angles opposés valent $ \pi/3$, et les deux autres $ \pi/2$ : ce pavage est illustré par la figure 16. Le peintre hollandais M.C. Escher était fasciné par la symétrie et l'infini mais il ne connaissait pas les mathématiques quand il a réalisé cette gravure. Après avoir vu ses \oeuvres, le mathématicien H.S.M. Coxeter demanda à le rencontrer, et lui expliqua qu'il avait réinventé les pavages du plan hyperbolique.


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