Arguments de continuité

Définition 8   Soit $ A$ une partie de $ \mathbb{R}$. On dit que $ A$ est dense dans $ \mathbb{R}$ si tout réel est limite d'une suite d'éléments de $ A$.

Une partie dense peut aussi être vue comme un ensemble de réels tel que tout intervalle ouvert de $ \mathbb{R}$ contient au moins un élément de cet ensemble.

Proposition 8   Une partie $ A$ est dense dans $ \mathbb{R}$ si et seulement si, pour tous réels $ a,b$ tels que $ a<b$, $ A\cap ]a,b[\neq \emptyset$.

La démonstration est facile et laissée au lecteur.

Le théorème suivant semble trop simple pour être utile, et pourtant...

Théorème 15   Soit $ A$ une partie dense de $ \mathbb{R}$. Si deux fonctions continues sont égales sur $ A$ alors elles sont égales partout.

$\displaystyle \Big( \forall a\in A ,\;f(a)=g(a) \Big)\;\Longrightarrow\;
\Big( \forall x\in \mathbb{R} ,\;f(x)=g(x) \Big)
$

Démonstration : Soit $ x$ un réel et $ (a_n)$ une suite d'éléments de $ A$, convergeant vers $ x$. Comme $ f$ et $ g$ sont continues, les suites $ (f(a_n))$ et $ (g(a_n))$ convergent respectivement vers $ f(x)$ et $ g(x)$. Mais comme les deux suites sont égales, leurs limites sont égales. $ \square$

Appliquer le théorème 15 se dit «utiliser un argument de continuité». Le plus souvent, la partie dense est l'ensemble des rationnels $ \mathbb{Q}$. On peut aussi rencontrer l'ensemble des nombres décimaux (multiples entiers d'une puissance négative de $ 10$), et l'ensemble des nombres dyadiques (multiples entiers d'une puissance négative de $ 2$).

Les quatre exemples de la proposition 9 proviennent du cours d'Analyse de Cauchy, chapitre V, paragraphe 1 : «Recherche d'une fonction continue formée de telle manière que deux semblables fonctions de quantités variables, étant ajoutées ou multipliées entre elles, donnent pour somme ou pour produit une fonction semblable de la somme ou du produit de ces variables»  (comment ça pas très clair ? Un peu de respect pour Cauchy tout de même !)

Proposition 9    
  1. Soit $ f$ une fonction continue sur $ \mathbb{R}$, telle que

    $\displaystyle \forall x,y\in\mathbb{R}\;,\quad f(x+y)=f(x)+f(y)
$

    Alors, en notant $ a=f(1)$,

    $\displaystyle \forall x\in\mathbb{R}\;,\quad f(x)=ax
$

  2. Soit $ f$ une fonction continue sur $ \mathbb{R}$, telle que

    $\displaystyle \forall x,y\in\mathbb{R}\;,\quad f(x+y)=f(x)f(y)
$

    Alors, en notant $ a=f(1)$, $ a\geqslant 0$ et

    $\displaystyle \forall x\in\mathbb{R}\;,\quad f(x)=a^x
$

  3. Soit $ f$ une fonction continue sur $ \mathbb{R}^{+*}$, telle que

    $\displaystyle \forall x,y\in\mathbb{R}\;,\quad f(xy)=f(x)+f(y)
$

    Il existe $ a\in \mathbb{R}^{+*}$ tel que $ f(a)=1$ et :

    $\displaystyle \forall x\in\mathbb{R}^{+*}\;,\quad f(x)=\ln(x)/\ln(a)
$

  4. Soit $ f$ une fonction continue sur $ \mathbb{R}^{+*}$, telle que

    $\displaystyle \forall x,y\in\mathbb{R}^{+*}\;,\quad f(xy)=f(x)f(y)
$

    Alors, soit $ f$ est constamment nulle, soit $ f(1)>0$, et en notant $ a=\ln(f(1))$ :

    $\displaystyle \forall x\in\mathbb{R}^{+*}\;,\quad f(x)=x^a
$

Démonstration : Nous détaillons la démonstration du premier point. Celle des autres points se fait sur le même modèle et sera laissée au lecteur.

Supposons que $ f$ vérifie

$\displaystyle \forall x,y\in\mathbb{R}\;,\quad f(x+y)=f(x)+f(y)
$

Soit $ x$ un réel quelconque. Commençons par montrer, par récurrence sur $ n$, que pour tout $ n\in\mathbb{N}$,

$\displaystyle f(nx)=nf(x)
$

La propriété est vraie pour $ n=1$. Supposons qu'elle soit vraie pour $ n$. Alors :

$\displaystyle f((n+1)x)=f(nx+x)=f(nx)+f(x)=nf(x)+f(x)=(n+1)f(x)
$

La propriété est vraie pour $ n+1$. Elle est donc vraie pour tout $ n\in\mathbb{N}$.

Soient $ p$ et $ q$ sont deux entiers. Appliquée à $ x=1/q$, la propriété ci-dessus donne $ f(p/q)=pf(1/q)$, et aussi $ f(1)=qf(1/q)$. Donc

$\displaystyle f(p/q)=f(1)(p/q)
$

En posant $ a=f(1)$, la fonction $ f$ coïncide avec $ x\mapsto ax$ sur tous les rationnels positifs. La relation $ f(x+0)=f(x)+f(0)$ montre que $ f(0)=0$. En écrivant $ f(0)=f(x)+f(-x)$, on obtient que $ f(-x)=-f(x)$. La fonction $ f$ coïncide donc avec $ x\mapsto ax$ sur tous les rationnels, donc sur tous les réels, par un argument de continuité. $ \square$

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