Applications affines

Les transformations affines sont les transformations géométriques les plus utilisées en géométrie élémentaire. On verra en particulier au chapitre «Géométrie euclidienne» que toute similitude (et en particulier toute isométrie) est une transformation affine. On dira de fait qu'une propriété est affine si elle est conservée par toute transformation affine. En particulier, l'alignement, le parallélisme, le milieu sont des propriétés affines. Par contre l'orthogonalité, les angles, les longueurs ne sont pas des propriétés affines, car elles ne sont pas conservées par toutes les transformations affines (bien qu'elles soient conservées par les isométries).

Définition et premières propriétés

Définition 19   Soient $ E$ et $ F$ deux espaces affines. Une application $ f$ de $ E$ dans $ F$ est dite affine s'il existe une application linéaire $ \vec{f}$ de $ \overrightarrow{E}$ dans $ \overrightarrow{F}$ telle que $ \overrightarrow{f(A)f(B)}=\vec{f}(\overrightarrow{AB})$ pour tout couple $ (A,B)$ de points de $ E$.

Cette propriété peut encore s'écrire $ f(M+\u)=f(M)+\vec{f}(\u)$ pour tout point $ M$ de $ E$ et tout vecteur $ \u\in\overrightarrow{E}$.

L'application $ \vec{f}$ est alors uniquement déterminée, puisque pour tout vecteur $ \u$ de $ \overrightarrow{E}$, il existe un (en fait une infinité de) couple $ (A,B)$ de points de $ E$ tel que $ \overrightarrow{AB}=\u$. On l'appelle application linéaire associée à $ f$, ou partie linéaire de $ f$.

Une application affine est entièrement déterminée par sa partie linéaire et l'image d'un point, puisque $ f(B)=f(A)+\overrightarrow{f(A)f(B)}=f(A)+\vec{f}(\overrightarrow{AB})$ pour tout point $ B$ de $ E$.

Réciproquement, si $ E$ et $ F$ sont deux espaces affines, $ A$ un point de $ E$, $ A'$ un point de $ F$ et $ \vec{f}$ une application linéaire de $ \overrightarrow{E}$ dans $ \overrightarrow{F}$, il existe une (et une seule) application affine $ f$ de $ E$ dans $ F$ de partie linéaire $ \vec{f}$ vérifiant $ f(A)=A'$.

Exemples :

Si $ f$ est une application quelconque de $ E$ dans $ F$, on ne peut en général pas lui associer d'application de $ \overrightarrow{E}$ dans $ \overrightarrow{F}$ indépendamment du choix d'une origine : en effet, on peut bien définir, pour tout point $ O$ de $ E$, une application $ \vec{f}_O$ de $ \overrightarrow{E}$ dans $ \overrightarrow{F}$ par $ \vec{f}_O(\u)=\overrightarrow{f(O)f(M)}$ pour tout vecteur $ \u$ de $ \overrightarrow{E}$, où $ M$ est l'unique point de $ E$ tel que $ \u=\overrightarrow{OM}$, mais cette application $ \vec{f}_O$ dépend en général du choix de $ O$. Cependant, il suffit que cette application soit linéaire pour un point $ O$ de $ E$ pour que $ f$ soit affine comme le montre la proposition suivante :

Proposition 20   Soient $ E$ et $ F$ deux espaces affines et $ f$ une application de $ E$ dans $ F$. On suppose qu'il existe un point $ O$ de $ E$ tel que l'application $ \vec{f}_O$ précédemment définie soit linéaire. Alors $ f$ est affine et $ \vec{f}_O$ est l'application linéaire associée à $ f$. En particulier, $ \vec{f}_O$ ne dépend alors pas du choix de $ O$.

Démonstration : On a, pour tout couple $ (A,B)$ de points de $ E$ :

$\displaystyle \overrightarrow{f(A)f(B)}$ $\displaystyle =\overrightarrow{f(O)f(B)}-\overrightarrow{f(O)f(A)}$    
  $\displaystyle =\vec{f}_O(\overrightarrow{OB})-\vec{f}_O(\overrightarrow{OA})$    
  $\displaystyle =\vec{f}_O(\overrightarrow{OB}-\overrightarrow{OA})$    car $\displaystyle \vec{f}_O$    est linéaire    
  $\displaystyle =\vec{f}_O(\overrightarrow{AB})$    

ce qui montre que $ f$ est affine de partie linéaire $ \vec{f}_O$.$ \square$

Composition

Proposition 21   Toute composée d'applications affines est une application affine, et la partie linéaire de la composée est la composée des parties linéaires : $ \overrightarrow{g\circ f  }=\vec{g}\circ \vec{f}$.

En particulier, on ne change pas la partie linéaire d'une application affine en la composant (à droite ou à gauche) avec une translation.

Démonstration : Il suffit de remarquer que, pour tout couple $ (A,B)$ de points de l'espace de départ de $ f$

$\displaystyle \overrightarrow{g\circ f(A) g\circ f(B)}=\vec{g}(\overrightarrow{...
...\vec{g}(\vec{f}(\overrightarrow{AB}))=\vec{g}\circ \vec{f}(\overrightarrow{AB})$

et que $ \vec{g}\circ\vec{f}$ est linéaire.$ \square$

Caractérisation en termes de barycentres

Proposition 22   Une application $ f$ d'un espace affine $ E$ dans un espace affine $ F$ est affine si et seulement si elle conserve les barycentres, i.e. si et seulement si, pour tout système $ (A_i,\lambda_i)_{i=1,\dots,n}$ de points pondérés de $ E$ de poids total non nul, l'image $ f(G)$ du barycentre $ G$ de ce système par $ f$ est le barycentre du système de points pondérés $ (f(A_i),\lambda_i)_{i=1,\dots,n}$.

Démonstration : Si $ f$ est affine et si $ G$ est le barycentre du système $ (A_i,\lambda_i)_{i=1,\dots,n}$, l'égalité

$\displaystyle \sum_{i=1}^n \lambda_i \overrightarrow{f(G)f(A_i)}=
\sum_{i=1}^n ...
...GA_i}\right)
=\vec{f}(\vec 0_{\overrightarrow{E}})
=\vec 0_{\overrightarrow{F}}$

montre que $ f(G)$ est le barycentre du système $ (f(A_i),\lambda_i)_{i=1,\dots,n}$.

Réciproquement, montrons que si $ f$ conserve les barycentres, l'application $ \vec{f}_O$ considérée à la proposition 20 est linéaire pour tout point $ O$ de $ E$. Soient donc $ \u$ et $ \v$ deux vecteurs de $ \overrightarrow{E}$, $ \lambda$ et $ \mu$ deux réels, $ M$ et $ N$ les points de $ E$ définis par $ \overrightarrow{OM}=\u$, $ \overrightarrow{ON}=\v$, et $ P$ le point de $ E$ défini par $ \overrightarrow{OP}=\lambda   \u+\mu   \v=\lambda  \overrightarrow{OM}+\mu  \overrightarrow{ON}$. Le point $ P$ est le barycentre du système pondéré $ [(O, 1-\lambda-\mu), (M,\lambda), (N,\mu)]$. Il en résulte que $ f(P)$ est le barycentre du système pondéré $ [(f(O), 1-\lambda-\mu), (f(M),\lambda), (f(N),\mu)]$, d'où

$\displaystyle \vec{f}_O(\lambda   \u+\mu   \v)$ $\displaystyle =\overrightarrow{f(O)f(P)}$    
  $\displaystyle =\lambda   \overrightarrow{f(O)f(M)}+\mu   \overrightarrow{f(O)f(N)}$    
  $\displaystyle =\lambda   \vec{f}_O(\u)+\mu   \vec{f}_O(\v)   ,$    

ce qui montre, d'après la proposition 20, que $ \vec{f}_O$ est linéaire.$ \square$

Corollaire 1   L'image (resp. l'image réciproque) d'un convexe par une application affine est un convexe.

Démonstration : Il suffit de remarquer que, d'après la proposition précédente, l'image par une application affine $ f$ d'un segment $ [AB]$ est le segment $ [f(A)f(B)]$.$ \square$

Image et image réciproque d'un sous-espace affine

Proposition 23   Soient $ E$ et $ F$ deux espaces affines, et $ f$ une application affine de $ E$ dans $ F$. L'image $ f(G)$ par $ f$ d'un sous-espace affine $ G$ de $ E$ est un sous-espace affine de $ F$, de direction l'image $ \vec{f}(\overrightarrow{G})$ de $ \overrightarrow{G}$ par $ \vec{f}$.
De même, l'image réciproque $ f^{-1}(H)$ par $ f$ d'un sous-espace affine $ H$ de $ F$ est, soit vide, soit un sous-espace affine de $ E$ de direction $ \vec{f}^{-1}(\overrightarrow{H})$.

Démonstration : Soit $ G$ un sous-espace affine de $ E$ et $ A$ un point de $ G$. L'égalité $ G=\{A+\u\mid \u\in\overrightarrow{G}\}$ implique

$\displaystyle f(G)$ $\displaystyle =\{f(M) \mid M\in G\}$    
  $\displaystyle =\{f(A+\u) \mid \u\in \overrightarrow{G}\}$    
  $\displaystyle =\{f(A)+\vec{f}(\u) \mid \u\in \overrightarrow{G}\}$    
  $\displaystyle =\{f(A)+\v\mid \v\in \vec{f}(\overrightarrow{G})\} \; ,$    

ce qui montre que $ f(G)$ est le sous-espace affine de $ F$ passant par $ f(A)$ de direction $ \vec{f}(\overrightarrow{G})$.

Soit $ H$ un sous-espace affine de $ F$. Si $ f^{-1}(H)$ n'est pas vide, soit $ A$ un point de $ f^{-1}(H)$. Un point $ M$ de $ E$ appartient à $ f^{-1}(H)$ si et seulement si $ f(M)$ appartient à $ H$, i.e. si et seulement si $ \overrightarrow{f(A)f(M)}=\vec{f}(\overrightarrow{AM})$ appartient à $ \overrightarrow{H}$, ou encore si et seulement si $ \overrightarrow{AM}$ appartient au sous-espace vectoriel $ \vec{f}^{-1}(\overrightarrow{H})$ de $ \overrightarrow{E}$, ce qui montre que $ f^{-1}(H)$ est le sous-espace affine de $ E$ passant par $ A$ et de direction $ \vec{f}^{-1}(\overrightarrow{H})$.$ \square$

En particulier :

Corollaire 2   Toute application affine conserve l'alignement et le parallélisme (les images par une application affine de deux sous-espaces affines parallèles sont deux sous-espaces affines parallèles).

Proposition 24   Une application affine est injective (resp. surjective, bijective) si et seulement si sa partie linéaire l'est. Il en résulte qu'une application affine d'un espace affine $ E$ de dimension finie dans lui-même est bijective si et seulement si elle est injective (resp. surjective).

Démonstration : Une application affine $ f$ d'un espace affine $ E$ dans un espace affine $ F$ est injective si et seulement si pour tout couple $ (A,B)$ de points de $ E$, $ f(A)=f(B)$ équivaut à $ A=B$. Mais $ f(A)=f(B)$ équivaut à $ \overrightarrow{f(A)f(B)}=\vec{f}(\overrightarrow{AB})=\vec{0}$, i.e. à $ \overrightarrow{AB}\in \mathrm{Ker}(\vec{f})$ et $ A=B$ équivaut à $ \overrightarrow{AB}=\vec{0}$. Il en résulte que $ f$ est injective si et seulement si $ \mathrm{Ker}(\vec{f})=\{\vec{0}\}$, i.e. si et seulement si $ \vec{f}$ est injective.

De même $ f$ est surjective si et seulement si $ f(E)=F$. Mais $ f(E)$ est un sous-espace affine de $ F$ de direction $ \vec{f}(\overrightarrow{E})=\mathrm{Im}(\vec{f})$ ; c'est donc $ F$ si et seulement si $ \mathrm{Im}(\vec{f})=\overrightarrow{F}$, i.e. si et seulement si $ \vec{f}$ est surjective.$ \square$

Expression dans un repère

1) Repère cartésien

Proposition 25   Soient $ E$ et $ E'$ deux espaces affines, de dimensions respectives $ n$ et $ m$, $ \mathcal R = (O,\mathcal B)=(O,\vec{e}_1,\dots,\vec{e}_n)$ un repère cartésien de $ E$, $ \mathcal R'=(O',\mathcal B')=(O',\vec{e}  '\!\!_1,\dots,\vec{e}  '\!\!_m)$ un repère cartésien de $ E'$, et $ f$ une application affine de $ E$ dans $ E'$. Les coordonnées dans $ \mathcal R'$ de l'image $ f(M)$ d'un point $ M$ de $ E$ par $ f$ sont données par $ X'=AX+B$, où $ A$ est la matrice de $ \vec{f}$ dans les bases $ \mathcal B$ et $ \mathcal B'$, $ X$ (resp. $ X'$) le vecteur colonne des coordonnées de $ M$ (resp. $ f(M)$) dans $ \mathcal R$ (resp. $ \mathcal R'$), et $ B$ le vecteur colonne des coordonnées de $ f(O)$ dans $ \mathcal R'$. Réciproquement, toute application de $ E$ dans $ E'$ donnée par de telles formules est affine.

Démonstration : Il suffit de remarquer que

$\displaystyle \overrightarrow{O'f(M)}=\overrightarrow{O'f(O)}+\overrightarrow{f(O)f(M)}=\overrightarrow{O'f(O)}+\vec{f}(\overrightarrow{OM}) \; .$

$ \square$

Changement de repère

En appliquant cette formule au cas où $ E'=E$ et $ f=id_E$, on obtient les formules de changement de repère : si $ \mathcal R = (O,\mathcal B)=(O,\vec{e}_1,\dots,\vec{e}_n)$ et $ \mathcal R' = (O',\mathcal B')=(O',\vec{e} '\!\!_1,\dots,\vec{e} '\!\!_n)$ sont deux repères cartésiens de $ E$, et si $ X$ (resp. $ X'$) est le vecteur colonne des coordonnées d'un point $ M$ dans le repère $ \mathcal R$ (resp. $ \mathcal R'$), on obtient $ X=AX'+B$, où $ A$ est la matrice de passage de la base $ \mathcal B$ à la base $ \mathcal B'$ et $ B$ le vecteur colonne des coordonnées de l'origine $ O'$ du nouveau repère $ \mathcal R'$ dans l'ancien repère $ \mathcal R$. Il suffit pour le voir d'appliquer la formule précédente en prenant $ f=id_E$, l'espace $ E$ étant au départ muni du repère $ \mathcal R'$, et à l'arrivée du repère $ \mathcal R$. Les vecteurs colonnes de la matrice de passage sont obtenus en exprimant les vecteurs de la nouvelle base $ \mathcal B'$ de $ \overrightarrow{E}$ dans l'ancienne base $ \mathcal B$.

Formes affines et hyperplans

Définition 20   On appelle forme affine (ou fonction affine) sur un espace affine $ E$ toute application affine de $ E$ dans $ \mathbb{R}$.

L'application linéaire associée à une forme affine sur $ E$ est donc une forme linéaire sur $ \overrightarrow{E}$. Une forme affine $ f$ sur $ E$ s'exprime en coordonnées cartésiennes par : $ f(M)=a_0+a_1 x_1+\dots+a_n x_n$, où les $ a_i$ sont des réels et les $ x_i$ les coordonnées de $ M$. Toute forme affine non constante est surjective et l'ensemble des points où une forme affine non constante $ f$ s'annule est un hyperplan affine $ H$ de direction l'hyperplan vectoriel $ \overrightarrow{H}=\ker \vec{f}$. Plus généralement, toutes les lignes de niveau de $ f$ sont des hyperplans affines parallèles à $ H$ et les demi-espaces fermés (resp. ouverts) délimités par $ H$ sont les ensembles $ \{M\in E \mid f(M) \geq 0\}$ et $ \{M\in E \mid f(M) \leq 0\}$ (resp. $ \{M\in E \mid f(M) > 0\}$ et $ \{M\in E \mid f(M) < 0\}$).

2) Repère affine

Proposition 26   Soit $ E$ et $ F$ deux espaces affines, $ (A_0,\dots,A_n)$ un repère affine de $ E$, $ (A'_0,\dots,A'_n)$ une famille de $ n+1$ points de $ F$, où $ n=\dim(E)$. Alors il existe une application affine $ f$ et une seule de $ E$ dans $ F$ qui vérifie $ f(A_i)=A'_i$ pour tout $ i=0,1,\dots,n$. De plus $ f$ est bijective si et seulement si la famille $ (A'_0,\dots,A'_n)$ est un repère affine de $ F$.

Démonstration : L'unicité est évidente : si $ (\alpha_0,\dots,\alpha_n)$ sont les coordonnées barycentriques normalisées ( $ \sum\limits_{i=0}^n \alpha_i=1$) du point $ M$ de $ E$ dans le repère affine $ (A_0,\dots,A_n)$, son image par $ f$ est le point $ f(M)=\sum\limits_{i=0}^n \alpha_i A'_i$ de $ F$ puisqu'une application affine conserve les barycentres.

Pour démontrer l'existence, il suffit de vérifier que l'application $ f$ de $ E$ dans $ F$ qui à tout point $ M=\sum\limits_{i=0}^n \alpha_i A_i$ (où $ \sum\limits_{i=0}^n \alpha_i=1$) associe le point $ f(M)=\sum\limits_{i=0}^n \alpha_i A'_i$ de $ F$ est affine, et pour cela de vérifier qu'elle conserve les barycentres. Cette propriété résulte de l'associativité du barycentre.

L'application $ f$ est surjective si et seulement si tout point de $ F$ peut s'écrire comme barycentre des points $ A'_0,\dots,A'_n$ et elle est injective si et seulement si cette écriture est unique. Ces deux conditions signifient que $ (A'_0,\dots,A'_n)$ est un repère affine de $ F$. $ \square$

En particulier deux applications affines qui coïncident sur un repère affine sont égales :

Corollaire 3   Soient $ E$ et $ F$ deux espaces affines, $ f$ et $ g$ deux applications affines de $ E$ dans $ F$, et $ (A_0,\dots,A_n)$ un repère affine de $ E$. Si $ f(A_i)=g(A_i)$ pour tout $ i=0,1,\dots,n$, alors $ f=g$.


         © UJF Grenoble, 2011                              Mentions légales