Logarithmes des nombres négatifs et imaginaires

Au XVIIe et XVIIIe siècles, les mathématiciens sont encore très réticents devant les nombres négatifs, presque autant que devant les nombres imaginaires. Gottfried Wilhelm von Leibniz (1646-1716) en 1702, parlant des racines imaginaires de $ x^4+a^4$, les appelle «un recours merveilleux de l'intelligence divine, une naissance non naturelle dans le royaume de la pensée, presque un amphibium entre l'être et le non-être».

Concernant les logarithmes, ce sont les nombres négatifs, avant les imaginaires, qui font l'objet de discussions passionnées. La correspondance entre Leibniz et Jean Bernoulli (1667-1748) est très significative. Lettre de Leibniz à Bernoulli (mars 1712) :

...et si l'on peut dire que $ -1$ et des expressions semblables signifient moins que rien, cependant on ne peut leur donner d'autre rapport qu'imaginaire...  De ceci, je prouve entre autres qu'aucun logarithme ne répond à ce rapport ou à un semblable...
Ce à quoi Bernoulli répond :
...Je ne suis pas d'accord avec toi lorsque tu dis que le rapport de $ -1$ à $ 1$ ou de $ 1$ à $ -1$ est imaginaire et que tu en déduis que aucun logarithme ne répond à ce rapport. Ainsi, moi je prouve le contraire de cela. Soit $ x$ un nombre variable, croissant de manière infiniment petite, dont le logarithme est $ l.x$ ; je dis que $ l.x$ lui-même répond à $ -x$ de même qu'à $ x$ ; on a la différentielle du logarithme d'un nombre en divisant la différentielle de ce nombre par ce même nombre ;

$\displaystyle \mathrm{d}x:x\;=\; -\mathrm{d}x:-x \;=\; \mathrm{d}l.-x\;.
$

Donc $ l.x$= $ l.-x$.
Mais Leibniz (un peu agacé, car il est tout de même l'inventeur du calcul différentiel) n'accepte pas l'argument :
...Je m'étonne que toi, avec ta pénétration d'esprit, tu ne vois pas qu'on ne peut pas donner de logarithme à $ -2$ parce qu'on ne peut pas donner de logarithme à $ \sqrt{-2}$, qui est la moitié du précédent. Mais, tu dis, la différentielle du nombre $ -x$, qui est $ -\mathrm{d}x$, divisée par le nombre $ -x$ donnera un élément logarithmique $ -\mathrm{d}x:-x$ ou $ \mathrm{d}x:x$. Mais cette règle, que la différentielle divisée par le nombre donne la différentielle du logarithme et n'importe quoi d'autre sur la nature et la construction des logarithmes n'a pas lieu pour les nombres négatifs.
Il faudra attendre Euler (1707-1783) pour qu'on sache enfin qui avait raison : aucun des deux !
Pour éclaicir ces propositions, qui ne paraissent nullement admissibles, et lever toute espèce de doute, il faut établir un autre paradoxe ; à savoir que tout nombre a une infinité de logarithmes, parmi lesquels il n'y en a qu'UN qui soit réel. Ainsi, quoique le logarithme de l'unité soit zéro, elle en a cependant une infinité d'autres qui sont imaginaires, à savoir $ 2l.(-1)$, $ 3l.(\frac{-1\pm\sqrt{-3}}{2})$, $ 4l.(\frac{-1\pm\sqrt{-1}}{2})$, et d'autres sans nombre que fait connaître l'extraction des racines. Cette opinion est beaucoup plus vraisemblable que la précédente ; car en supposant $ x=l.a$, on aura $ a=\mathrm{e}^x$ et par conséquent $ a=1+x+x^2/2!+x^3/3!\ldots$ et comme cette équation a un nombre infini de dimensions, il n'est pas étonnant que $ x$ ait de même un nombre infini de racines.
Et de fait puisque tout nombre complexe non nul s'écrit sous forme exponentielle $ z=\vert z\vert\mathrm{e}^{\mathrm{i}(\mathrm{arg}(z)+2k\pi)}$, pour tout $ k\in\mathbb{Z}$, il admet bien une infinité de logarithmes :

$\displaystyle \log(z)=\ln(\vert z\vert)+\mathrm{i}(\mathrm{arg}(z)+2k\pi)\;,\quad k\in\mathbb{Z}\;.
$


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