Euler et les fonctions

Leonhard Euler (1707-1783) est considéré comme le mathématicien le plus prolifique de tous les temps. Il ne s'est pas contenté des mathématiques : physique, chimie, biologie, botanique, médecine, philosophie, architecture navale, latin, grec, l'étendue de ses connaissances était prodigieuse. Il était puissamment aidé par une mémoire hors du commun : capable de réciter l'Énéïde de Virgile, du début à la fin, il pouvait retrouver la première et la dernière ligne de chaque page des éditions dans lesquelles il l'avait lue. Son plus grand tour de force est sans doute d'avoir produit presque la moitié de son travail pendant les dix-sept dernières années de sa vie, alors qu'il était complètement aveugle ! Vous devez à Euler l'essentiel de ce chapitre. Voici ce qu'il écrit dans la préface de son «Introduction à l'analyse infinitésimale».
Je me suis surtout étendu sur les fonctions de variables, parce qu'elles font l'objet de l'analyse infinitésimale...  Je les ai d'abord divisées en algébriques et en transcendantes. Les premières sont composées de quantités variables combinées entre elles par les opérations ordinaires de l'algèbre, et les secondes dépendent d'autres opérations, ou des mêmes combinaisons que les précédentes, mais répétées une infinité de fois...  Je me suis attaché à découvrir des propriétés et à trouver la somme de plusieurs séries infinies, dont quelques unes paraissaient de nature à faire croire presque qu'elles ne pourraient être trouvées sans le secours d'un calcul infinitésimal. Telles sont les séries, dont les sommes sont exprimées ou par les logarithmes ou par les arcs de cercle. Ces sortes de quantités qui sont transcendantes, puisqu'elles sont représentées par la surface de l'hyperbole et du cercle, font partie des matières qu'on a coutume de traiter dans l'analyse infinitésimale. Passant ensuite des puissances aux quantités exponentielles, qui sont elles-mêmes des puissances, dont les exposants sont variables, leur développement m'a fourni une idée fort naturelle et à la fois féconde des logarithmes ; d'où il m'a été facile de conclure leurs différents usages, en même temps que j'ai pu en déduire toutes les séries infinies, qui représentent ordinairement ces quantités ; ce qui m'a donné enfin un moyen très expéditif de construire les tables de logarithmes. Je me suis semblablement conduit dans l'examen des arcs de cercle ; genre de quantités qui, quoique très différent des logarithmes leur est cependant si intimement lié, que lorsqu'une de ces quantités paraît devenir imaginaire, elle se change en l'autre.
Euler a introduit beaucoup des notations que nous utilisons encore pour les fonctions et les nombres complexes. Voici le passage où apparaît pour la première fois le nombre $ \mathrm{e}$.
... Comme on peut prendre à volonté la base $ a$ pour établir un système de logarithmes, nous pouvons la prendre telle que $ k$ devienne égale à $ 1$, supposons donc $ k=1$, la série trouvée ci-dessus deviendra $ \displaystyle{a=1+1+\frac{1}{1.2}+\frac{1}{1.2.3}}$ etc., dont les termes convertis en décimales et ajoutés donnent pour $ a$ cette valeur $ 2,71828182845904523536028$ dont le dernier chiffre est encore exact.

Les logarithmes calculés sur cette base s'appellent naturels ou hyperboliques, parce qu'ils peuvent représenter la quadrature de l'hyperbole. Au reste, pour abréger, nous désignerons constamment ce nombre par la lettre $ \mathrm{e}$, qui indiquera par conséquent la base des logarithmes naturels ou hyperboliques à laquelle répond la valeur de $ k=1$.
Appréciez au passage le calcul à la main de 24 chiffres significatifs du nombre $ \mathrm{e}$ «dont le dernier est encore exact».

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