Récurrences linéaires d'ordre deux

Comme application des notions de ce chapitre, nous proposons d'étudier l'ensemble des solutions de l'équation de récurrence suivante :

$\displaystyle ({\cal E}) \qquad \forall n\in \mathbb{N}
\;,\quad
u_{n+2}=\alpha u_{n+1}+\beta u_n\;,
$

$ \alpha$ et $ \beta$ sont deux réels fixés. L'exemple le plus simple est l'équation définissant les nombres de Fibonacci, $ u_{n+2}=u_{n+1}+u_{n}$. Nous notons $ E$ l'ensemble des suites de réels qui vérifient $ ({\cal E})$. Dire que $ ({\cal E})$ est linéaire revient à dire que $ E$ est un espace vectoriel.

Proposition 12   L'ensemble $ E$ des suites de réels vérifiant $ ({\cal E})$ est un espace vectoriel de dimension $ 2$.

Démonstration : Commençons par vérifier que $ E$ est un sous-espace vectoriel de l'ensemble des suites de réels. Nous en donnerons ensuite une base.

Soient $ (u_n)$ et $ (v_n)$ deux suites vérifiant $ ({\cal E})$, $ \lambda,\mu$ deux réels.

$\displaystyle u_{n+2}=\alpha u_{n+1}+\beta u_{n}$   et$\displaystyle \quad
v_{n+2}=\alpha v_{n+1}+\beta v_{n}
$

impliquent :

$\displaystyle \lambda u_{n+2}+\mu v_{n+2}=\alpha (\lambda u_{n+1}+\mu v_{n+1})+
\beta (\lambda u_{n}+\mu v_n)
$

Donc $ (\lambda u_n+\mu v_n)$ vérifie $ ({\cal E})$. D'où le résultat en appliquant le théorème 2. On peut aussi démontrer que l'application qui à une suite $ (u_n)$ quelconque associe la suite de terme général $ v_n=u_{n+2}-\alpha u_{n+1}-\beta u_n$ est une application linéaire. L'ensemble $ E$ est le noyau de cette aplication. C'est donc un sous-espace vectoriel de $ \mathbb{R}^\mathbb{N}$, par le théorème 6. Considérons maintenant les deux suites $ (b_n)$ et $ (b'_n)$, vérifiant $ ({\cal E})$ et telles que

$\displaystyle b_0=1 ,\;b_1=0$   et$\displaystyle \quad
b'_0=0 ,\;b'_1=1\;.
$

Soit $ (u_n)$ une suite quelconque vérifiant $ ({\cal E})$. La suite $ (u_n)$ est définie de façon unique par la donnée de $ u_0,u_1 \in \mathbb{R}$ et l'équation $ ({\cal E})$. Donc la suite $ (u_n)$ est égale à la combinaison linéaire $ u_0(b_n)+u_1(b'_n)$ : la famille $ \big( (b_n),
(b'_n) \big)$ est génératrice. Supposons que $ (u_n)$ soit la suite nulle. Alors $ u_0=u_1=0$. Donc la famille $ \big( (b_n),
(b'_n) \big)$ est libre : c'est une base. $ \square$

Pour trouver une expression explicite aux solutions de $ ({\cal E})$, nous allons trouver une autre base. Nous commençons par écarter le cas où $ \alpha=\beta=0$ : dans ce cas, les suites solutions de $ ({\cal E})$ sont nulles à partir du rang 2. Nous supposons désormais que $ \alpha$ et $ \beta$ ne sont pas tous les deux nuls. Cherchons quelles suites géométriques vérifient $ ({\cal E})$. Supposons que $ (r^n)$ vérifie $ ({\cal E})$. Alors,

$\displaystyle \forall n\in \mathbb{N}
\;,\quad
r^{n+2}=\alpha r^{n+1}+\beta r^n\;.
$

C'est vrai si $ r$ est nul, ou bien s'il est solution de l'équation du second degré suivante, qu'on appelle l'équation caractéristique associée.

$\displaystyle (ECA) \qquad
r^2=\alpha r+\beta\;.
$

Théorème 8   Si l'équation caractéristique associée possède
  1. deux racines réelles distinctes $ r_1$ et $ r_2$, alors $ \big( (r_1^n),(r_2^n) \big)$ est une base de $ E$ :

    $\displaystyle E = \big\{  (\lambda  r_1^n + \mu  r_2^n) ,\;
(\lambda,\mu)\in \mathbb{R}^2 \big\}.
$

  2. une racine double $ r$, alors $ \big( (r^n),(n r^n) \big)$ est une base de $ E$ :

    $\displaystyle E = \big\{  (\lambda  r^n + \mu  n r^n) ,\;
(\lambda,\mu)\in \mathbb{R}^2 \big\}.
$

  3. deux racines complexes conjuguées $ \rho \mathrm{e}^{\mathrm{i}\theta}$ et $ \rho
\mathrm{e}^{-\mathrm{i}\theta}$, alors $ \big( (\rho^n \cos(n\theta)),(\rho^n\sin(n\theta)) \big)$ est une base de $ E$ :

    $\displaystyle E = \big\{  (\lambda  \rho^n \cos(n\theta) + \mu  \rho^n
\sin(n\theta)) ,\; (\lambda,\mu)\in \mathbb{R}^2 \big\}.
$

Démonstration : Puisque l'espace vectoriel $ E$ est de dimension $ 2$, il suffit dans chacun des trois cas de montrer que les deux suites proposées vérifient $ ({\cal E})$ et forment une famille libre.

Dans le premier cas, les deux suites vérifient $ ({\cal E})$ car $ r_1$ et $ r_2$ sont racines de $ (ECA)$. Pour montrer qu'elles forment une famille libre, supposons que la suite $ (\lambda r_1^n +\mu r_2^n)$ soit nulle. Les deux premiers termes sont :

$\displaystyle \lambda+\mu=0$   et$\displaystyle \quad
\lambda r_1+\mu r_2=0
$

Puisque $ r_1\neq r_2$, ce système de deux équations a une solution unique, $ \lambda=\mu=0$.

Dans le second cas la racine double est $ r=\alpha/2$ et elle est non nulle, le cas $ \alpha=\beta=0$ étant écarté. Il est évident que $ (r^n)$ vérifie $ ({\cal E})$. On le vérifie facilement pour $ (nr^n)$. Pour montrer que la famille est libre, supposons que la suite $ (\lambda r^n+\mu
nr^n)$ soit nulle. Les deux premiers termes sont :

$\displaystyle \lambda = 0$   et$\displaystyle \quad
\lambda r +\mu r = 0\;.
$

Donc (puisque $ r\neq 0$), $ \lambda=\mu=0$.

Traitons maintenant le dernier cas : $ (ECA)$ a deux racines complexes conjuguées $ \rho \mathrm{e}^{\mathrm{i}\theta}$ et $ \rho
\mathrm{e}^{-\mathrm{i}\theta}$. Les suites (complexes) $ (\rho^n \mathrm{e}^{n\mathrm{i}\theta})$ et $ (\rho^n \mathrm{e}^{-n\mathrm{i}\theta})$ vérifient $ ({\cal E})$. Leur somme et leur différence sont :

$\displaystyle \rho^n \mathrm{e}^{n\mathrm{i}\theta} +\rho^n \mathrm{e}^{-n\mathrm{i}\theta}= 2\rho^n \cos(n\theta)$   et$\displaystyle \quad
\rho^n \mathrm{e}^{n\mathrm{i}\theta} -\rho^n \mathrm{e}^{-n\mathrm{i}\theta}= 2\mathrm{i}\rho^n \sin(n\theta)\;.
$

On en déduit que les deux suites proposées vérifient $ ({\cal E})$. Pour montrer que la famille est libre, supposons que la suite $ (\lambda \rho^n\cos(n\theta)+\mu
\rho^n\sin(n\theta))$ soit nulle. Les deux premiers termes sont :

$\displaystyle \lambda = 0\;,\quad
\lambda \rho\cos(\theta)+\mu\rho\sin(\theta)=0\;.
$

On en déduit donc que $ \mu\rho\sin(\theta)=0$, donc $ \mu=0$ car $ \rho\sin(\theta)$ est non nul (sinon les racines de $ (ECA)$ seraient réelles).$ \square$

Comme premier exemple, considérons l'équation définissant les nombres de Fibonacci :

$\displaystyle ({\cal E}) \qquad \forall n\in \mathbb{N}
\;,\quad
u_{n+2}=u_{n+1}+u_n\;.
$

L'équation caractéristique associée est

$\displaystyle (ECA) \qquad
r^2=r+1\;.
$

Elle a deux racines réelles distinctes, $ \phi$ et $ -1/\phi$, où $ \phi$ est le nombre d'or :

$\displaystyle \phi = \frac{1+\sqrt{5}}{2}\quad,\quad
-\frac{1}{\phi} = \frac{1-\sqrt{5}}{2}\;.
$

L'ensemble des suites réelles vérifiant $ ({\cal E})$ est donc

$\displaystyle \left\{  \left( \lambda  \left(\frac{1+\sqrt{5}}{2}\right)^n+\...
...{1-\sqrt{5}}{2}\right)^n \right)
\;,\quad\lambda,\mu\in\mathbb{R} \right\}.
$

Les nombres de Fibonacci sont définis par $ ({\cal E})$, avec $ u_0=1$ et $ u_1=1$. Pour calculer les coordonnées $ \lambda$ et $ \mu$ de cette suite, il faut résoudre le système

\begin{displaymath}
\left\{
\begin{array}{lcl}
\lambda+\mu&=&1 [1.5ex]
\lambda\phi-\mu/\phi&=&1
\end{array}\right.
\end{displaymath}

On en déduit l'expression suivante du $ n$-ième nombre de Fibonacci :

$\displaystyle u_n =
\frac{1}{2^{n+1}\sqrt{5}}\left((1+\sqrt{5})^{n+1}-(1-\sqrt{5})^{n+1}\right)\;.
$

(Persuadez-vous que $ u_n$ est bien un entier !) Considérons maintenant l'équation suivante.

$\displaystyle ({\cal E}) \qquad \forall n\in \mathbb{N}
\;,\quad
u_{n+2}=-u_{n+1}-u_n\;.
$

L'équation caractéristique associée est :

$\displaystyle (ECA) \qquad
r^2=-r-1\;.
$

Ses racines sont :

$\displaystyle j=-\frac{1}{2} + \mathrm{i}\frac{\sqrt 3}{2}=\mathrm{e}^{2\mathrm{i}\pi/3}$   et$\displaystyle \quad
\overline j =-\frac{1}{2} - \mathrm{i}\frac{\sqrt 3}{2}=\mathrm{e}^{-2\mathrm{i}\pi/3}
$

Toute solution réelle de l'équation de récurrence s'écrit :

$\displaystyle (u_n) = \left( \lambda  \cos(n2\pi/3)+
\mu  \sin(n2\pi/3) \right)\;.
$

Les solutions sont périodiques de période $ 3$.

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