Les différentes intégrales

L'idée qu'une intégrale pouvait être calculée comme une somme de petits rectangles était depuis longtemps bien admise. Voici ce qu'en dit Pascal (1623-1662).
On n'entend autre chose par somme des ordonnées d'un cercle sinon la somme d'un nombre indéfini de rectangles faits de chaque ordonnée avec chacune des petites portions égales du diamètre, dont la somme [...] ne diffère de l'espace d'un demi-cercle que d'une quantité moindre qu'aucune autre donnée.
Il faudra attendre encore deux siècles après Pascal, avant qu'on ne donne un sens rigoureux aux expressions «nombre indéfini de rectangles»et «moindre qu'aucune autre donnée» : celui d'une limite pour des subdivisions dont le pas tend vers 0.

Vers 1670, Newton et Leibniz firent simultanément la découverte fondamentale que l'intégration et la dérivation étaient des opérations inverses l'une de l'autre. Pour calculer une aire, il suffisait désormais de connaître une primitive de la fonction qui la délimitait. Ceci fit quelque peu passer au second plan la méthode d'intégration des Grecs et des Arabes, consistant à découper l'aire à calculer en petits rectangles. Mais jusqu'au XIXe siècle, personne ne s'était posé la question de définir la convergence d'une somme d'aires de petits rectangles, vers une intégrale.

En 1823, Cauchy fut le premier à tenter une définition rigoureuse, pour l'intégrale d'une fonction continue sur un segment. Malheureusement, la définition de la continuité qu'il donnait confondait continuité et continuité uniforme, deux notions qui ne seront distinguées que bien après lui. Plus grave, Cauchy énonçait et «démontrait»un théorème faux, selon lequel l'intégrale de la limite d'une suite de fonctions serait toujours la limite de la suite des intégrales de ces fonctions.

Tout le monde était d'accord depuis longtemps sur l'intégrale des fonctions en escalier. À partir de là, il semblerait qu'il suffise de dire qu'une fonction est limite en tout point de fonctions en escalier, et de passer à la limite sur les intégrales. Ce n'est malheureusement pas si simple. L'exemple suivant vous aidera à comprendre pourquoi. Pour tout entier $ n$, définissons la fonction $ f_n$, de $ [0,1]$ dans $ \mathbb{R}$, qui à $ x$ associe :

$\displaystyle f_n(x) = \left\{\begin{array}{lcl}
n&\mbox{si}&x\in[0,1/n]\\
0&\mbox{si}&x\in]1/n,1]\;.
\end{array}\right.
$

Pour tout $ n$, $ f_n$ est une fonction en escalier, dont l'intégrale vaut $ 1$. Pourtant, pour tout $ x\in ]0,1]$, la suite $ f_n(x)$ tend vers 0 (elle est nulle à partir d'un certain rang). Or la fonction nulle est d'intégrale nulle : n'en déplaise à Cauchy, l'intégrale de la limite n'est pas toujours la limite des intégrales !

En 1854, Riemann proposa un raffinement des définitions de Cauchy, qu'il rendait rigoureuses, tout en les adaptant à des fonctions qui n'étaient plus nécessairement continues. L'idée d'approcher l'intégrale par une subdivision de l'intervalle d'intégration restait la même.

En 1902, Lebesgue proposa une nouvelle approche : au lieu de subdiviser l'intervalle d'intégration, il subdivisait l'intervalle des valeurs de la fonction. La théorie de Lebesgue, si elle est plus difficile à comprendre, présente de nombreux avantages sur celle de Riemann : les théorèmes de convergence sont plus puissants, et plus de fonctions peuvent être intégrées. L'intégrale de Lebesgue vous sera enseignée par la suite.

Cependant, la construction de Lebesgue n'était toujours pas parfaitement satisfaisante. À peu près dix ans après Lebesgue, Arnaud Denjoy et Oskar Perron, proposèrent chacun une variante plus générale mais plus compliquée. Il fallut attendre la fin des années cinquante pour que Ralph Henstock (décédé le 6 janvier 2007) et Jaroslav Kurzweil se rendent compte que non seulement les intégrales de Denjoy et Perron étaient équivalentes, mais que l'on pouvait donner de leur théorie une version beaucoup plus simple : cette version, qui sort du cadre de ce cours, est connue sous le nom d'intégrale de Henstock-Kurzweil.

Entre temps, bien d'autres mathématiciens ont laissé leur nom à une définition d'intégrale, comme Darboux, Stieltjes, Daniell, Radon, Itô, etc.


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