Nous avons commencé en insistant sur la différence entre polynômes et fonctions polynomiales ; il est temps de voir le rapport entre ces deux concepts.
On peut associer à chaque polynôme une fonction polynomiale, mais il n'est pas du tout évident d'associer un polynôme à une fonction polynomiale.
Les morceaux «évidents» de la proposition suivante resteraient vrais sur des anneaux, mais on l'énonce sur des corps pour pouvoir prononcer des termes d'algèbre linéaire.
Alors est une application linéaire. De plus, pour tous et et , où le deuxième désigne la fonction constante prenant la valeur .
L'image de est le sous-espace vectoriel de formé des fonctions polynomiales.
Si est infini, l'application est injective, donc induit une bijection entre l'espace des polynômes et celui des fonctions polynomiales.
Démonstration : Les deux premiers paragraphes sont totalement évidents : il faut juste déplier successivement la définition de , celle de fonction polynomiale associée à un polynôme et celle de valeur d'un polynôme en un point.
Le paragraphe intéressant est le dernier. Puisqu'il s'agit d'une application linéaire, on peut attaquer l'injectivité par l'étude du noyau. Soit un élément de . Cela signifie que l'application polynomiale associée à est la fonction nulle, c'est-à-dire que pour tout de , . Ainsi tous les éléments de sont des racines de . Comme on a supposé infini, ceci entraîne que a une infinité de racines. Mais on sait qu'un polynôme non nul n'a qu'un nombre fini de racines (leur nombre vaut au plus son degré). Donc ce qui prouve que est réduit à donc l'injectivité de .
Remarque : Ce que dit en gros cette proposition, pour ceux qui la trouveraient trop abstraite, c'est que si on ne comprend pas la différence entre les polynômes et les fonctions polynomiales et qu'on travaille sur un corps infini, on ne s'expose pas à des déboires sérieux. Mais cette possibilité de relâchement ne doit pas être exploitée : une telle confusion sur un corps fini serait irrémédiable. Pour voir un exemple simple, contemplez le bête polynôme de ; si on le code en machine comme indiqué au début de ce chapitre, c'est la suite de bits , qui n'est manifestement pas 0. Pourtant si on regarde non le polynôme mais la fonction polynomiale , sa valeur en est et sa valeur en est donc c'est bien la fonction polynomiale nulle. Ce n'est donc pas du tout de celle-ci que l'on parle quand on évoque le polynôme .
Pour vérifier qu'on a compris cet exemple, on résoudra les exercices (très simples) suivants.