Premier point à observer : l'arithmétique sur les polynômes est tout à fait analogue à celle sur les entiers à condition de travailler sur des polynômes sur un corps commutatif. Sur un anneau commutatif quelconque (même intègre) se glissent quelques bizarreries.
Second point à observer : les énoncés donnés sur les entiers l'ont été sur des entiers positifs. Ils se modifient sans trop de mal pour des entiers de mais parfois en s'alourdissant un peu ; ainsi dans on ne peut plus affirmer l'existence d'un entier unique tel que divise et si et seulement si divise (le pgcd de et ) : il en existe toujours un, mais il n'est plus unique, on peut prendre mais aussi . Les polynômes unitaires joueront un rôle analogue aux entiers positifs mais ils sont légèrement moins confortables, dans la mesure où la somme de deux entiers positifs est positive alors que la somme de deux polynômes unitaires n'est pas nécessairement unitaire. Attention à ces petits détails donc, en apprenant les énoncés.
Commençons par donner une définition, à partir de laquelle on ne montrera guère de théorèmes que dans mais que ça ne coûte pas plus cher de donner sur un anneau commutatif quelconque.
Comme pour les entiers, tout repose sur la division euclidienne.
Démonstration : On prouvera successivement l'existence et l'unicité de .
Existence de
La preuve est significativement différente de celle utilisée pour les entiers. Elle est toujours basée sur une maximisation/minimisation, mais les polynômes n'étant pas totalement ordonnés, cette maximisation est un peu plus technique.
Dans le cas stupide où divise , prenons et tel que . Sinon, considérons l'ensemble
Nous devons vérifier que ces choix conviennent ; l'identité entre , , et est claire, reste l'inégalité concernant les degrés. Vérifions-la par l'absurde, en supposant que ; notons le degré de et
Considérons alors
Unicité de
Soient et deux couples vérifiant les deux conditions exigées dans l'énoncé du théorème.
On déduit de que . Ainsi, est un multiple de . Des conditions et , on déduit que .
Ainsi est un multiple de de degré strictement plus petit. La seule possibilité est que soit nul. On en déduit , puis, en allant reprendre l'égalité , que .
Remarque : On a choisi d'énoncer ce théorème sur un corps commutatif pour faciliter sa mémorisation et parce que l'on n'aura presque jamais besoin d'un énoncé plus général. On aura toutefois besoin une fois de l'utiliser pour des polynômes sur un anneau ; remarquons donc que la démonstration montre que le résultat reste vrai sur un anneau commutatif quelconque à condition de supposer non seulement que est non nul, mais même que son coefficient dominant est inversible : le seul endroit où on a utilisé qu'on s'était placé dans un corps commutatif a en effet été une division par ce coefficient dominant.
Nous définissons ensuite le pgcd. On ne donnera pas ici d'énoncés concernant le , non qu'il n'y en ait pas (ce sont là aussi les mêmes qu'en arithmétique des entiers) mais parce qu'ils ne semblent pas très importants. Les étudiants curieux les reconstitueront eux-mêmes.
De plus il existe deux polynômes et de tels que (identité de Bézout).
Et tant qu'on y est avant de passer aux démonstrations :
Comme pour les entiers, plusieurs démonstrations sont possibles ; on ne donne que celle basée sur l'algorithme d'Euclide.
Démonstration : La démonstration est une récurrence sur le degré de .
Merveilles du copier-coller, voici de nouveau un «résumé de la preuve» sous forme de programme informatique récursif (le même que pour l'arithmétique des entiers) :
Début du programme
* Pour , coefficient dominant de .
* Soit le reste de la division euclidienne de par .
Les diviseurs communs de et sont ceux de et .
D'où : .
Fin du programme
Et voici, toujours par les vertus du copier-coller, la preuve récurrente formelle. On va démontrer par «récurrence forte» sur le degré de l'hypothèse suivante :
Pour tout polynôme et tout polynôme de degré , il existe deux polynômes et tels que, pour tout polynôme , divise et si et seulement si divise .
Vérifions .
Il s'agit donc de traiter le cas où . Soit un polynôme ; tout polynôme qui divise divise aussi puisque . Pour tout , divise et 0 si et seulement si divise . Prenons alors et : on a donc bien pour tout : divise et 0 si et seulement si divise .
Soit un entier fixé. Supposons la propriété vraie pour tout strictement inférieur à et montrons .
Soient un polynôme et un polynôme de degré . Notons la division euclidienne de par (qu'on peut réaliser puisque ).
Vérifions l'affirmation intermédiaire suivante : pour tout , est un diviseur commun de et si et seulement si est un diviseur commun de et . (Avec des mots peut-être plus lisibles : «les diviseurs communs de et sont les mêmes que ceux de et »).
Soit un diviseur commun de et , alors divise aussi ; réciproquement soit un diviseur commun de et , alors divise aussi .
L'affirmation intermédiaire est donc démontrée.
On peut alors appliquer l'hypothèse de récurrence (puisque précisément ) en l'appliquant au polynôme .
On en déduit qu'il existe deux polynômes et tels que pour tout , divise et si et seulement si divise .
Remarquons enfin que , et qu'ainsi, si on pose et on a bien prouvé que, pour tout , divise et si et seulement si divise .
est donc démontrée.
On a donc bien prouvé pour tout .
Une fois qu'on en est arrivé là, il ne reste donc plus qu'à montrer que pour un polynôme (le polynôme ) il existe un unique unitaire tel que divise si et seulement si divise . L'existence est claire : comme le résumé le suggère, on divise par son coefficient dominant et on obtient un polynôme unitaire ayant les mêmes diviseurs que . Pour ce qui est de l'unicité, elle est évidente pour nul ; on supposera non nul. Soit maintenant un polynôme unitaire ayant exactement les mêmes diviseurs que . Alors comme divise , divise , et comme divise , divise . Les polynômes et se divisent donc mutuellement ; soit et les quotients respectifs de par et de par . En utilisant la formule calculant le degré d'un produit, on voit que forcément, a même degré que et que les polynômes et sont de degré nul, donc des constantes et . Soit le coefficient dominant de ; le coefficient dominant de vaut donc et est égal à (coefficient dominant de ), donc à , ce qui prouve l'unicité.
Nous allons ensuite définir le pgcd d'un nombre fini de polynômes. En arithmétique des entiers, cette notion n'est pas primordiale ; en revanche dans les applications des raisonnements arithmétiques à des polynômes, on est souvent dans des cas où on s'intéresse à des pgcds de plus de deux polynômes à la fois.
L'énoncé donné ci-dessus pour deux polynômes se généralise à un nombre fini, par récurrence sur ce nombre.
De plus il existe polynômes tels que
Démonstration : C'est une récurrence facile sur . Le cas est l'objet du théorème précédent (et le cas a été traité dans sa démonstration, ou on peut le ramener fictivement à en disant que les diviseurs de sont les diviseurs communs de et de 0).
Soit fixé, supposons la proposition vraie pour tout ensemble de polynômes. Prenons polynômes . Notons le pgcd des premiers, qui existe par l'hypothèse de récurrence. Alors les diviseurs communs de , , , sont les diviseurs communs de et de ; donc prendre répond à la question. L'unicité est claire : si répondait aussi à la question, les diviseurs de seraient exactement les mêmes que ceux de avec et tous deux unitaires, et comme dans la preuve du théorème précédent (ou en appliquant le théorème précédent à et 0), on conclut que . La relation de Bézout est aussi le résultat d'une récurrence immédiate : il existe tels que et et tels que donc
On prendra garde à ne pas confondre «premiers entre eux» (on dit parfois «premiers entre eux dans leur ensemble») et «deux à deux premiers entre eux» : dans , les polynômes
Les polynômes irréductibles sont les analogues des nombres premiers. Toutefois les usages étant ce qu'ils sont, il y a une petite nuance de vocabulaire un peu désagréable : alors que le mot «nombre premier» est réservé à des entiers positifs, le mot «polynôme irréductible» n'est pas réservé à des polynômes unitaires. On se méfiera de cette peu perceptible nuance qui crée de légères discordances entre énoncés analogues portant les uns sur les polynômes et les autres sur les entiers.
On remarquera tout de suite que ces deux diviseurs unitaires sont alors forcément les polynômes et (coefficient dominant de ).
La proposition suivante est évidente, mais donne un exemple fondamental de polynômes irréductibles :
Démonstration : Soit avec un polynôme du premier degré dans . Cherchons ses diviseurs unitaires. Un diviseur de doit avoir un degré inférieur ou égal à celui de . Le seul diviseur unitaire constant de est le seul polynôme constant unitaire : la constante . Cherchons les diviseurs unitaires de la forme de . Si divise , il existe un polynôme tel que et en comparant les degrés, est nécessairement constant. En comparant les coefficients dominants, nécessairement donc . Ainsi possède exactement un diviseur unitaire du premier degré, le polynôme . Le polynôme est donc irréductible.
Sur un corps quelconque, déterminer quels polynômes sont irréductibles et lesquels ne le sont pas est un problème très sérieux ; dans quelques pages, nous verrons que ce problème a une solution simple dans les cas particuliers des polynômes à coefficients complexes ou réels.
Le résultat fondamental est, comme en arithmétique entière, l'existence et unicité de la décomposition en facteurs irréductibles. Elle repose là encore sur le «lemme de Gauss». On ne réécrit pas les démonstrations pour deux raisons totalement contradictoires : d'abord parce que ce sont exactement les mêmes, et ensuite parce que ce ne sont pas exactement les mêmes -une petite difficulté se pose pour énoncer l'unicité de la décomposition en facteurs irréductibles d'un polynôme. Pour des entiers, on a convenu de classer les facteurs dans l'ordre croissant : ainsi se décompose en et non en . Une telle convention ne peut être appliquée pour décomposer des polynômes, aucun ordre «raisonnable» n'étant à notre disposition sur l'ensemble des polynômes irréductibles ; ainsi dans peut-on écrire selon la fantaisie du moment ou . Quand on énonce ci-dessous que la décomposition est «unique» on sous-entend donc qu'on considère les deux exemples qui précèdent comme la même décomposition, ce qui peut s'énoncer rigoureusement mais lourdement. Voulant glisser sur ce détail, on se condamne à rester un peu vaseux.
Voici donc le lemme de Gauss.
Démonstration : La même que pour les entiers, avec des majuscules.
Et voici le théorème de décomposition en facteurs irréductibles.
Démonstration : À peu près la même que pour les entiers, avec un peu plus de soin pour l'unicité.