La géométrie du triangle

Les Éléments d'Euclide, écrits au IIIe siècle avant notre ère, contenaient déjà de nombreux résultats sur la géométrie des triangles. Les formulations d'Euclide sont très différentes des nôtres, car il ne disposait pas des fonctions trigonométriques et raisonnait uniquement en termes de longueurs et d'aires. De plus il n'était pas question de traiter les quantités à ôter comme des quantités négatives à ajouter. Pour cette raison, les propositions 12 et 13 du livre II des Éléments, séparent le cas d'un triangle obtusangle (ayant un angle obtus) et celui d'un triangle acutangle (dont tous les angles sont aigus). La proposition 12 est énoncée comme suit. Avec un peu de réflexion, vous devriez pouvoir y reconnaître le théorème d'Al-Kashi. Dans les triangles obtusangles, le carré du côté qui soutient l'angle obtus est plus grand que les carrés des deux autres côtés, de la quantité de deux fois le rectangle formé d'un des côtés contenant l'angle obtus, à savoir celui sur le prolongement duquel tombe la hauteur, et de la ligne prise en-dehors entre le pied de la hauteur et l'angle obtus. L'astronome et mathématicien Al-Battani généralisa le résultat d'Euclide à la géométrie sphérique au début du Xe siècle, ce qui lui permit d'effectuer des calculs de distance angulaire entre étoiles. Ghiyath Al-Kashi, mathématicien de l'école de Samarcande, mit le théorème sous une forme utilisable pour la triangulation, au cours du XVe siècle.
Figure 12: Le théorème de Napoléon.
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Le théorème suivant, n'a été attribué (faussement) à Napoléon Bonaparte qu'au début du vingtième siècle. Il a été maintes fois redécouvert, et on ignore s'il était ou non connu des grecs.

Théorème 5   Soit $ ABC$ un triangle quelconque. Soient $ X,Y,Z$ les isobarycentres des $ 3$ triangles équilatéraux extérieurs au triangle $ ABC$, construits sur chacun des trois côtés. Le triangle $ XYZ$ est équilatéral (figure 12).

Il est connu que Napoléon se piquait de mathématiques, et qu'il a eu plusieurs conversations avec Laplace et Lagrange. Sur ses capacités réelles, les avis divergent, selon l'interprétation de ce que lui aurait dit Laplace, lors d'un dîner le 11 décembre 1797. Voici deux versions.
  1. H. Poincaré : «Nous attendions tout de vous, Général, sauf des leçons de géométrie» 
  2. H.S.M. Coxeter et S.L. Greitzer : «The last thing we want from you, General, is a lesson in geometry» 
Cette anecdote a été si souvent rapportée qu'il peut être utile d'écouter un témoin : Dubois-Aymé (1779-1846)1.
Entouré d'artistes et de savants, il [Bonaparte] en retira un éclat de savoir qui éblouit toujours la multitude. L'Institut, selon l'ancienne coutume de toutes les académies, d'appeler dans leur sein des hommes puissants pour s'en faire un appui, l'élut membre de la section de mécanique à la place de Carnot proscrit, et il tira habilement parti de cette couronne académique dont le faux éclat éblouit ses soldats et sembla l'élever au-dessus de tous les autres généraux, ses rivaux de gloire.

Je me rappelle qu'à cette époque, Bonaparte, entretenant un jour le célèbre Laplace et quelques autres membres de l'Institut d'un nouvel ouvrage, intitulé Geometria del compasso, dont Mascheroni lui avait récemment, fait hommage à Milan, fit, à l'occasion d'une proposition tout à fait élémentaire, une figure sur le tableau avec de la craie pour mieux se faire comprendre, prétendit-il, et que Laplace, soit moquerie comme je le crus alors, soit flagornerie comme je l'ai cru depuis, lui dit «Je ne m'attendais pas, général, à recevoir une leçon de mathématiques de vous». Les aides-de-camp de Bonaparte et ses flatteurs, il n'en manquait pas déjà, répétèrent à l'envi ce qu'ils appelaient l'aveu de Laplace lui-même de la supériorité de Napoléon sur lui en mathématiques, et la foule hébétée le répéta après eux. La vérité est que Bonaparte avait oublié depuis longtemps le peu de mathématiques dont il avait eu besoin pour entrer dans l'artillerie avant la Révolution, et que lorsqu'il fut reçu à l'Institut il n'eût certes pas pu être reçu à l'école polytechnique.
À vous de conclure ! En attendant, vous pouvez démontrer vous-même le «théorème de Napoléon», par exemple en utilisant le calcul dans le plan complexe. Le magnifique théorème suivant, en revanche, ne prête pas à polémique. Il a bien été démontré par Frank Morley (1860-1937), en 1899.

Théorème 6   Soit $ ABC$ un triangle quelconque. Soient $ X,Y,Z$ les points d'intersection deux à deux des trissectrices adjacentes du triangle. Le triangle $ XYZ$ est équilatéral (figure 13).

Pourquoi les grecs ne l'avaient-ils pas trouvé ? Peut-être parce qu'il est impossible de construire les trissectrices d'un angle à la règle et au compas...
Figure 13: Le théorème de Morley.
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