Bien avant Archimède, les Grecs calculaient des aires ou des volumes par la méthode d'exhaustion. Elle consiste à établir l'égalité de deux aires ou deux volumes en montrant par l'absurde qu'aucun n'est supérieur à l'autre. Les raisonnements reposent généralement sur des encadrements de la figure par des figures quarrables de plus en plus précises. La méthode nécessite cependant de connaître a priori le résultat final, d'autant qu'il n'est pas exprimé par un nombre, mais comme un rapport : on ne calcule pas le volume de la sphère ; on prouve que ce volume est le quadruple du volume d'un cône de base égale à un grand cercle de la sphère et de hauteur égale au rayon. Comment Archimède procédait-il pour deviner quels étaient les rapports à établir ? Il explique dans «la méthode» qu'il utilise des méthodes mécaniques par pesées, en découpant en tranches les surfaces ou les volumes considérés.
Sa méthode, Archimède l'a exercée principalement à partir des cylindres, des cônes et des sphères. Ses résultats figurent dans le traité «de la sphère et du cylindre». Il commence ainsi.
Archimède, à Dosithée, salut
Je t'avais déjà envoyé, avec leurs démonstrations, les théorèmes que mes réflexions m'avaient fait découvrir ; le suivant était au nombre de ces théorèmes :
Tout segment compris entre une droite et la section du cône rectangle, est égal à quatre fois le tiers d'un triangle qui a la même base et la même hauteur que le segment.
J'ai terminé aujourd'hui les démonstrations de plusieurs théorèmes qui se sont présentés ; et parmi ces théorèmes, on distingue ceux qui suivent.
La surface de la sphère est quadruple d'un de ses grands cercles.
La surface d'un segment sphérique est égale à un cercle ayant un rayon égal à la droite menée du sommet du segment à la circonférence du cercle qui est la base du segment.
Un cylindre qui a une base égale à un grand cercle de la sphère, et une hauteur égale au diamètre de cette même sphère, est égal à trois fois la moitié de la sphère.
La surface du cylindre est aussi égale à trois fois la moitié de la surface de la sphère.
Quoique ces propriétés existassent essentiellement dans les figures dont nous venons de parler, elles n'avaient point été remarquées par ceux qui ont cultivé la géométrie avant nous ; cependant il sera facile de connaître la vérité de nos théorèmes, à ceux qui liront attentivement les démonstrations que nous en avons données. Il en a été de même de plusieurs choses qu'Eudoxe a considérées dans les solides, et qui ont été admises, comme les théorèmes suivants :
Une pyramide est le tiers d'un prisme qui a la même base et la même hauteur que la pyramide.
Un cône est le tiers d'un cylindre qui a la même base et la même hauteur que le cône.
Ces propriétés existaient essentiellement dans ces figures, et quoiqu'avant Eudoxe, il eût paru plusieurs géomètres qui n'étaient point à mépriser, cependant ces propriétés leur étaient inconnues, et ne furent découvertes par aucun d'eux.
Au reste, il sera permis, à ceux qui le pourront, d'examiner ce que je viens de dire. Il eût été à désirer que mes découvertes eussent été publiées du vivant de Conon ; car je pense qu'il était très capable d'en prendre connaissance et d'en porter un juste jugement. Quoi qu'il en soit, ayant pensé qu'il était bon de les faire connaître à ceux qui cultivent les mathématiques, je te les envoie appuyées de leurs démonstrations : les personnes versées dans cette science pourront les examiner à loisir.
Porte-toi bien.On dit qu'Archimède était si fier d'avoir trouvé le rapport entre le volume de la sphère et celui du cylindre qui la contient (), qu'il demanda que la figure soit gravée sur sa tombe. Quelque 140 ans plus tard, le jeune Cicéron, récemment nommé en Sicile, retrouve la tombe grâce à cette indication.
Quand j'étais questeur, j'ai découvert son tombeau que les Syracusains ignoraient ; ils affirmaient même qu'il n'existait point. Je l'ai découvert entouré et recouvert entièrement de ronces et de buissons. Je connaissais quelques petits vers dont j'avais appris qu'ils étaient inscrits sur sa tombe. Ceux-ci faisaient connaître qu'en haut du monument il y avait une sphère avec un cylindre. Or, en parcourant des yeux toutes les tombes, qui sont très nombreuses à la sortie d'Agrigente, j'aperçus une petite colonne qui émergeait à peine des buissons, sur laquelle se trouvaient les figures d'une sphère et d'un cylindre. Aussitôt je dis aux notables syracusains qui se trouvaient à mes côtés qu'à mon avis c'était là précisément la tombe que je cherchais. Plusieurs hommes, venus avec des faux, débroussaillèrent l'endroit. Une fois le lieu dégagé, nous nous approchâmes du soubassement qui nous faisait face. L'épigramme apparut avec la fin des vers rongée presqu'à moitié. C'est ainsi que la plus illustre cité de la Grande Grèce, jadis même la plus savante, aurait ignoré le tombeau de son concitoyen le plus intelligent si un homme d'Arpinum ne le leur avait pas révélé.Archimède aurait sans doute aimé lire la phrase suivante de Paul Cézanne, souvent répétée pour justifier les théories cubistes :
Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se dirige vers un point central.Elle date de 1904, soit deux ans avant que le Palimpeste d'Archimède ait été retrouvé, mais tout de même plus de 2000 ans après qu'il ait été écrit.