La Dame à la lampe

Ses parents lui avaient donné le nom de la ville où elle était née : Florence. Vous pouvez estimer qu'elle avait eu plus de chance que sa s\oeur, née à Naples, et donc prénommée Parthenope. Pourtant en 1820, Florence n'était pas encore un prénom courant. Mais 60 ans plus tard...
... you are Myth in your own lifetime. Do you know that there are thousands of girls about the ages of 18 to 23 named after you? Everyone has heard of you and has a sweet association with your name.
Quelle Florence est-elle donc devenue un mythe de son vivant ? Florence Nightingale (1820-1910)6. Se sentant appelée par Dieu et cherchant sa vocation, elle pense d'abord aux mathématiques, ce dont ses parents ne veulent pas entendre parler. La destinée de Florence, écrit sa mère, sera de se marier, et ... à quoi serviraient les mathématiques pour une femme mariée ? C'est vrai, le rang social de sa famille fait d'elle un beau parti ; elle est jolie, brillante, danse fort bien et fait chavirer bien des c\oeurs. Pourtant elle s'obstine. Son père, qui a été son précepteur et lui a enseigné la philosophie, le grec et le latin, s'étonne. «Why mathematics? I cannot see that mathematics would do great service. History or philosophy, natural or moral, I should like best.» La réponse de Florence n'est peut-être pas celle à laquelle vous auriez pensé. «I don't think I shall succeed so well in anything that requires quickness as in what requires only work [mathematics]». Comme toujours dans sa vie, elle finit par avoir le dernier mot et obtient ses leçons de maths. On a dit que Sylvester avait été son professeur, mais il n'en existe aucune preuve. Par contre, elle a bien croisé la route d'un autre nom célèbre de l'histoire des sciences, même s'il ne semble pas qu'elles aient parlé de mathématiques.
Lady Lovelace, who was Byron's daughter, had a ``passion'' for Florence and handed round a set of verses she had written in praise of her ``soft and silver voice,'' her ``grave and lucid eye.''
Entre-temps, Florence avait trouvé sa vraie vocation.
My mind is absorbed with the idea of the sufferings of man, it besets me behind and before ... all that the poets sing of the glories of this world seems to me untrue. All that the people I see are eaten up with care or poverty or disease.
Elle allait dédier chacun des instants de sa vie, avec une volonté, une exigence et une puissance de travail exceptionnelles, à soulager les souffrances de ses contemporains. Contrastant avec la mentalité romantique de son temps, elle fuit l'agitation stérile des grandes idées, et exige des réalisations concrètes.
I think one's feelings waste themselves in words, they ought all to be distilled into actions and into actions which bring results.
Des idées d'actions qui pourraient apporter des résultats, il n'en manque pas : quand la Reine Victoria accède au trône en 1837, l'espérance de vie en Grande-Bretagne est de 38 ans. La mortalité infantile est effrayante, de nombreuses jeunes femmes meurent en couche, le choléra et le typhus font périodiquement des ravages, les épidémies sont redoutées mais mal comprises. Il y a encore pire : les hôpitaux militaires. Qu'un soldat meure à la guerre est dans l'ordre des choses. L'homme de troupe a la réputation d'une brute avinée guère plus évoluée qu'un animal, et personne ne s'est jamais trop soucié de ses souffrances. Quand la guerre de Crimée est déclarée en 1854, la condition des soldats est terrible, comme dans toutes les guerres qui ont précédé. Mais quelque chose a changé : le «Times» envoie un correspondant de guerre, qui fait son métier. Ses articles rapportent les horreurs dont il est témoin, et au passage, touchent un point sensible. Les hôpitaux de campagne de l'allié français sont mieux organisés, et ceux-ci bénéficient du travail efficace d'infirmières religieuses : les «S\oeurs de la Charité». Quarante ans après Waterloo, les français ont beau être devenus alliés, il n'est pas question de leur reconnaître une quelconque supériorité. Le ministère de la Guerre envoie en Crimée Florence Nightingale, à la tête d'un bataillon de 40 infirmières. Imaginez une jeune femme de la haute, débarquant au milieu de militaires professionnels, bien décidés à ne pas laisser une Lady leur donner des leçons. En dépit des conditions matérielles catastrophiques et des oppositions farouches, son dévouement, sa puissance de travail, ses qualités d'organisatrice font merveille.
Her calmness, her resource, her power to take action raised her to the position of a goddess. The men adored her. ``If she were at our head'', they said, ``we should be in Sebastopol next week.'' The doctors came to be absolutely dependent on her, and Colonel Sterling wrote home: ``Miss Nightingale now queens it with absolute power.''
De retour en Angleterre, elle est devenue une icône. Pourtant, la perte de tant de jeunes hommes dans la force de l'âge, à cause de maladies infectieuses qui auraient pu être enrayées par quelques règles simples d'hygiène et d'asepsie, lui laisse un profond sentiment d'échec. Comment convaincre les autorités des réformes qui s'imposent ? Et pour commencer, comment leur faire comprendre que le taux de mortalité dans les hôpitaux militaires est anormalement élevé, bien supérieur à celui des hôpitaux civils ? Il faut exposer les faits, donner des chiffres bien sûr, mais cela risque de ne pas suffire7.
Diagrams are of great utility for illustrating certain questions of vital statistics by conveying ideas on the subject through the eye, which cannot be so readily grasped when contained in figures. This aid has therefore been called in to give greater clearness to the numerical results in the body of the Report and in the Appendix.
Elle imagine même une nouvelle forme de diagramme en «crête de coq» : une représentation circulaire mensuelle, où les nombres sont repésentés par des surfaces de secteurs circulaires (figure 238).
Figure 23: Florence Nightingale : diagramme en crête de coq des causes de mortalité pendant la guerre de Crimée.
Image Nightingale

The lesson is most instructively taught in the Diagram representing the Causes of mortality in the Army in the East. It is the same diagram as the former with this difference, that it exhibits, month by month, the mortality from the diseases and accidents of war occurring during the memorable siege. Each diagram represents the mortality from zymotic disease, from wounds, and from all other causes.

[...]

The large diagram framed on Table III, represents a year's Mortality in the Hospitals of the Bosphorus, from October 1, 1854, to September 30, 1855. The long wedge on the right hand of the diagram represents the mortality for the first half of October, 1854, and each of the suceeding wedges denotes by its surface the mortality per 1000 of sick treated for the period stated on them.
Les «zymotic diseases» sont les maladies infectieuses (choléra, typhus, dysenterie). Le constat est accablant : il y a eu en une seule année 11999 décès dus aux maladies infectieuses, contre 1570 résultant de blessures. Florence Nightingale croira toujours au pouvoir de conviction des «hard facts, c'est-à-dire des statistiques. Elle y est aidée par un autre pionnier de l'épidémiologie statistique, le Docteur William Farr9.
She found statistics ``more enlivening than a novel'' and loved to ``bite on a hard fact''. Dr. Farr wrote in January, 1860: ``I have a New Year's Gift for you. It is in the shape of Tables.'' ``I am exceedingly anxious to see your charming gift,'' she replied, ``especially those returns showing the Deaths, Admissions, Diseases.'' Hilary Bonham Carter wrote that however exhausted Florence might be, the sight of long columns of figures was ``perfectly reviving'' to her.

Les données de mortalité dans les hôpitaux de Crimée sont dans le dataframe
Nightingale du package HistData, qui contient bien d'autres tableaux de données historiques. Les diagrammes en crête de coq peuvent être reproduits avec le package ggplot2 ; on trouve facilement sur le web les scripts correspondants. Jouez avec, et souvenez-vous quand même que chacune de ces unités statistiques était un jeune homme de votre âge. Florence Nightingale, elle, ne les a jamais oubliés.

Oh my poor men; I am a bad mother to come home and leave you in your Crimean graves -- 73 per cent in 8 regiments in 6 months from disease alone -- who thinks of that now?
Dans l'imaginaire collectif britannique, elle est restée cette ombre précédée d'une lampe, glissant sans bruit la nuit de lit en lit, réconfortant les mourants par sa seule présence : the «lady with a lamp» du poème de H. W. Longfellow.

Lo! in that house of misery

A lady with a lamp I see

Pass through the glimmering gloom,

And flit from room to room.

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