La seconde restauration trouva Fourier dans la capitale, sans emploi et justement inquiet pour son avenir. Celui qui, pendant quinze ans, administra un grand département ; qui dirigea des travaux si dispendieux ; qui, dans l'affaire des marais de Bourgoin, eut à stipuler pour tant de millions, avec les particuliers, les communes et les compagnies, ne possédait pas vingt mille francs de capital. Cette honorable pauvreté, le souvenir des plus importants, des plus glorieux services, devaient peu toucher des ministres voués alors aux colères de la politique et aux caprices de l'étranger. Une demande de pension fut donc repoussée avec brutalité. Qu'on se rassure ! La France n'aura pas à rougir d'avoir laissé dans le besoin une de ses principales illustrations. Le Préfet de Paris, je me trompe, Messieurs, un nom propre ne sera pas de trop ici, M. de Chabrol apprend que son ancien professeur à l'École polytechnique, que le secrétaire perpétuel de l'Institut d'Égypte, que l'auteur de la Théorie analytique de la chaleur, va être réduit, pour vivre, à courir le cachet. Cette idée le révolte. Aussi se montre-t-il sourd aux clameurs des partis, et Fourier reçoit de lui la direction supérieure du Bureau de la statistique de la Seine, avec 6000 francs d'appointements. J'ai cru, Messieurs, ne pas devoir taire ces détails. Les sciences peuvent se montrer reconnaissantes envers tous ceux qui leur donnent appui et protection quand il y a quelque danger à le faire, sans craindre que le fardeau devienne jamais trop lourd ! Fourier répondit dignement à la confiance de M. de Chabrol. Les mémoires dont il enrichit les intéressants volumes publiés par la préfecture de la Seine, serviront désormais de guide à tous ceux qui ont le bon esprit de voir dans la statistique, autre chose qu'un amas indigeste de chiffres et de tableaux.Rentré en grâce, et devenu secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences pour la section des Mathématiques, Fourier exprime sa reconnaissance dans l'Histoire de l'Académie pour l'année 1822.
L'Académie se souvient du beau travail dont M. le Comte de Chabrol a réuni les matériaux nombreux et authentiques, qu'il a publiés, en 1821, sous le titre de Recherches statistiques sur la Ville de Paris et le département de la Seine, et qui contient 62 tableaux. Elle apprend avec intérêt que ce magistrat continue ses précieuses recherches, les seules à présent dans leur genre, et que la suite en doit paraître incessament. Grâces soient rendues aux administrateurs qui font servir l'influence et l'autorité de leurs importantes fonctions, ainsi que les secours de tout genre dont ils peuvent disposer, à résoudre des questions d'un égal intérêt pour le Gouvernement et les particuliers, pour les Sciences exactes et pour les spéculations de l'Économie politique.Fourier est peut être un peu excessif dans ses louanges. Il sait fort bien que M. le Comte de Chabrol n'a pas écrit une ligne du monument en 4 gros volumes que sont les «Recherches statistiques sur la Ville de Paris et le département de la Seine». Ce « beau travail» est dû pour l'essentiel à son adjoint au Bureau des Statistiques F. Villot, et aussi à lui-même : Fourier a contribué au moins aux différentes préfaces et il a écrit deux mémoires sur le «calcul des erreurs» (nous dirions marges d'incertitude ou intervalles de confiance). Voici ce qui est dit dans la préface du tome 4, à propos de la présentation des résultats.
On a conservé, dans tout le cours de cet ouvrage l'emploi des tableaux, ce qui permet de réunir un nombre immense de résultats, écarte les dissertations superflues, et facilite tous les rapprochements. Ce même mode de publication a été employé depuis dans d'autres ouvrages, pour un ordre de faits très importants, ceux qui ont été l'objet de décisions en matière criminelle. Dans les descriptions statistiques, on a distingué les éléments que l'on peut, en quelque sorte, regarder comme invariables, et ceux qui subissent des variations assez fréquentes. Les premiers sont déterminés par les conditions naturelles du climat ou par des institutions sensiblement fixes : on s'est attaché, dans les parties de cet ouvrage déjà publiées, à décrire avec soin cette première classe de faits, et l'on a présenté les résultats plus variables dans des tableaux annuels qu'il est devenu facile de rédiger ; en sorte que le plan général étant formé, il suffira de publier, après un certain intervalle de temps, des suppléments périodiques, pour constater les changements survenus ; on parvient ainsi à concilier l'unité de plan et de vues, avec la diversité des états successifs.