Polynômes de Taylor

Commençons par rappeler deux résultats fondamentaux que vous connaissez déjà par c\oeur (si ce n'est pas le cas, dépêchez-vous de les apprendre).

Théorème 1    
$ \bullet$
Pour tout $ x\in  ]-1,1[$ :

$\displaystyle \frac{1}{1-x}=\lim_{n\to \infty} 1+x+x^2+\cdots+x^n\;.$ (1)

$ \bullet$
Pour tout $ x\in \mathbb{R}$ :

$\displaystyle \mathrm{e}^x=\lim_{n\to \infty} 1+\frac{x}{1!}+\frac{x^2}{2!}+\cdots +\frac{x^n}{n!}\;.$ (2)

Le premier s'obtient à partir de l'identité :

$\displaystyle 1-x^{n+1}=(1-x)(1+x+x^2+\cdots+x^n)\;.
$

Le second se déduit de la formule du binôme de Newton et est démontré dans le chapitre sur les fonctions usuelles.

Il faut voir dans (1) et (2) des résultats d'approximation : ils permettent d'évaluer de manière relativement précise la valeur prise par une fonction, en calculant un polynôme (ce qui est non seulement facile à la main, mais surtout peu coûteux en temps de calcul). À ce propos, dans tout le chapitre nous commettons l'abus de langage consistant à désigner par «polynôme» ce qui est en fait une fonction polynomiale. Considérons la formule (1). Notons :

$\displaystyle f(x)=\frac{1}{1-x}$   et$\displaystyle \quad
P_n(x)=1+x+x^2+\cdots+x^n\;.
$

La figure 1 montre une représentation graphique de la fonction $ f$ et des polynômes $ P_n$ pour $ n$ allant de 0 à $ 5$. Plus $ n$ est grand, meilleure est l'approximation pour un $ x$ donné. Dans ce cas particulier, il est facile de calculer l'erreur commise si on remplace $ f(x)$ par $ P_n(x)$.

$\displaystyle f(x)-P_n(x)=\frac{1}{1-x}-\frac{1-x^{n+1}}{1-x}=\frac{x^{n+1}}{1-x}\;.
$

Cette erreur est donc de l'ordre de $ x^{n+1}$. Pour être plus concret, pensez $ x=0.1$. Alors $ x^n=10^{-n}$ et $ P_n(0.1)=1.11\ldots1$. La différence $ f(x)-P_n(x)$ vaut $ 10^{-n+1}/0.9$. Pour $ n=5$, on commet une erreur de l'ordre du millionième en remplaçant $ 1/0.9$ par $ 1.11111$.
Figure: Fonction $ x\mapsto 1/(1-x)$ et ses polynômes de Taylor en 0 jusqu'à l'ordre $ n=5$.
\includegraphics[width=8cm]{unsurdl}
L'intérêt est plus flagrant pour l'exponentielle, pour laquelle il n'existe pas d'autre moyen de calcul que de l'approcher par des polynômes. Posons :

$\displaystyle f(x)=\mathrm{e}^x$   et$\displaystyle \quad
P_n(x)=1+\frac{x}{1!}+\frac{x^2}{2!}+\cdots+\frac{x^n}{n!}\;.
$

Le tableau ci-dessous donne la différence entre $ f(0.1)$ et $ P_n(0.1)$, pour $ n$ allant de 0 à $ 5$ (voir la figure 2 pour la représentation graphique de $ f$ et $ P_0,\ldots,P_5$).

\begin{displaymath}
\begin{array}{\vert c\vert cccccc\vert}
\hline
n&0&1&2&3&4&5...
...{-4}&4.3 10^{-6}&
8.5 10^{-8}&1.4 10^{-9}\\
\hline
\end{array}\end{displaymath}

Figure: Fonction $ x\mapsto \mathrm{e}^x$ et ses polynômes de Taylor en 0 jusqu'à l'ordre $ n=5$.
\includegraphics[width=8cm]{expdl}
Comment obtient-on les polynômes $ P_n$ à partir de $ f$ ? C'est très simple : on fait en sorte que leurs dérivées en 0 coïncident avec celles de la fonction jusqu'à l'ordre $ n$ :

$\displaystyle \forall k=0,\ldots,n\;,\quad f^{(k)}(0)=P_n^{(k)}(0)\;.
$

Le polynôme $ P_n$ étant de degré $ n$, il est entièrement déterminé par la donnée de ses $ n+1$ coefficients :

$\displaystyle P_n(x)=f(0)+\frac{f'(0)}{1!} x+\frac{f''(0)}{2!} x^2+\cdots+
\frac{f^{(n)}(0)}{n!} x^n\;.
$

Vérifiez sur les deux exemples ci-dessus : la dérivée $ n$-ième en 0 de $ x\mapsto 1/(1-x)$ est $ n!$, celle de $ x\mapsto \mathrm{e}^x$ est $ 1$. Ce que nous venons de voir au voisinage de 0, s'étend en n'importe quel point de la façon suivante.

Définition 1   Soit $ n$ un entier. Soit $ f$ une fonction de $ \mathbb{R}$ dans $ \mathbb{R}$, définie sur un intervalle ouvert $ I$ contenant un point $ a$, dérivable $ n-1$ fois sur $ I$, et dont la dérivée $ n$-ième en $ a$ existe. On appelle polynôme de Taylor d'ordre $ n$ en $ a$ de $ f$, le polynôme :

$\displaystyle P_n(x)=f(a)+\frac{f'(a)}{1!} (x-a)+\frac{f''(a)}{2!} (x-a)^2+\cdots+
\frac{f^{(n)}(a)}{n!} (x-a)^n\;.
$

On appelle reste de Taylor d'ordre $ n$ en $ a$ de $ f$, la fonction $ R_n$ qui à $ x\in I$ associe :

$\displaystyle R_n(x)=f(x)-P_n(x)\;.
$

L'idée est de remplacer une fonction $ f$ que l'on ne sait pas calculer (ou difficilement) par un polynôme, qui est facilement calculable. Mais si $ f(x)$ n'est pas calculable, alors bien sûr le reste $ R_n(x)$ ne l'est pas non plus. On doit donc chercher des moyens d'estimer ou de majorer ce reste. Nous les étudierons à la section suivante. Le moins que l'on puisse demander quand on approche une fonction par un polynôme de degré $ n$, est que le reste soit négligeable devant $ (x-a)^n$. C'est le sens de la définition suivante.

Définition 2   Soient $ I$ un intervalle ouvert, $ a$ un point de $ I$ et $ n$ un entier. On dit que $ f$ admet un développement limité d'ordre $ n$ en $ a$ lorsqu'il existe un polynôme $ P_n$ tel que le reste $ f(x)-P_n(x)$ soit négligeable devant $ (x-a)^n$.

$\displaystyle R_n(x)=f(x)-P_n(x)=o((x-a)^n)\;.
$

Nous verrons que toutes les fonctions usuelles admettent un développement limité pour lequel $ P_n$ est le polynôme de Taylor. Même si on ne les utilise jamais, il existe des fonctions qui ne vérifient pas les hypothèses de la définition 1 et qui pourtant admettent des développements limités. Par exemple la fonction $ f$ définie par :

$\displaystyle f(x)=\left\{\begin{array}{lcl}
x^4&\mbox{si}&x\in\mathbb{Q}\\
0&\mbox{si}&x\in\mathbb{R}\setminus \mathbb{Q}\;.
\end{array}\right.
$

Elle vérifie évidemment $ f(x)=o(x^3)$, elle admet donc des développements limités en 0 d'ordre $ 1$, $ 2$ et $ 3$. Pourtant elle n'est continue sur aucun intervalle contenant 0. Nous nous ramènerons toujours à des développements limités au voisinage de 0, grâce à l'observation suivante.

Proposition 1   Soit $ I$ un intervalle ouvert de $ \mathbb{R}$, $ a$ un point de $ I$ et $ n$ un entier. Soit $ f$ une fonction définie sur $ I$. Soit $ g$ la fonction qui à $ h$ associe $ g(h)=f(a+h)$. La fonction $ f$ admet un développement limité d'ordre $ n$ en $ a$, si et seulement si $ g$ admet un développement limité d'ordre $ n$ en 0.

$\displaystyle f(x)=P_n(x)+o((x-a)^n)
\;\Longleftrightarrow\;
g(h)=f(a+h)=P_n(a+h)+o(h^n)\;.
$

Désormais, nous simplifierons les écritures en n'écrivant plus que des développements limités en 0. Un développement limité, s'il existe, est unique au sens suivant.

Proposition 2   Soient $ I$ un intervalle ouvert contenant 0, et $ n$ un entier. Soit $ f$ une fonction définie sur $ I$. Supposons qu'il existe deux polynômes $ P_n$ et $ Q_n$ de degré $ n$ tels que au voisinage de 0 :

$\displaystyle f(x)=P_n(x)+o(x^n)$   et$\displaystyle \quad
f(x)=Q_n(x)+o(x^n)\;.
$

Alors $ P_n=Q_n$.

Démonstration : Le polynôme $ P_n-Q_n$ est de degré au plus $ n$, et il est négligeable devant $ x^n$ au voisinage de 0. Ce n'est possible que s'il est nul.$ \square$

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