L'ensemble
des permutations de l'ensemble
, muni de la
composition des applications est le premier exemple de
groupe non commutatif que vous ayez rencontré. Vous avez besoin d'en
savoir un peu plus pour manipuler des déterminants. La notion
importante de cette section est celle de signature.
Soit
une bijection de
dans
lui-même. Nous la noterons
Par exemple pour :
est la bijection qui à associe , à associe , etc. On
peut se demander pourquoi imposer une notation aussi redondante,
puisque les images sont données par la deuxième ligne dans l'ordre
de la première. La raison est que l'on réserve une notation plus
simple aux cycles. La composition des applications est notée
, mais nous noterons la composée de avec
elle-même fois.
Définition 1
Soit une permutation de
et un élément de
.
On appelle orbite de pour l'ensemble (fini)
.
Dans l'exemple ci-dessus, pour trouver l'orbite de , on calcule
l'image de qui est , puis l'image de qui est ,
etc., jusqu'à retrouver (qui est l'image de ). L'orbite de
est donc
.
L'orbite de est , celle de est (on dit que
est un point fixe). Observez qu'une orbite est la même pour tous
ses éléments : l'orbite de , , et est aussi
. Le plus petit entier tel que est la
longueur de l'orbite
.
Par définition, un ensemble n'est pas ordonné. Or nous aurons
besoin d'un ordre pour écrire des cycles. Nous conviendrons
donc d'écrire une orbite comme la liste ordonnée
, où est le plus petit élément de l'orbite.
Définition 2
On appelle décomposition en orbites de la permutation
la séquence d'orbites disjointes des éléments de
pour , écrite par ordre croissant de leurs plus petits éléments.
Un algorithme très simple produit la décomposition en orbites
d'une permutation.
Tant qu'il reste des éléments de
hors des orbites
déjà écrites
choisir le plus petit de ces éléments
écrire son orbite
Fin Tant que
Dans l'exemple ci-dessus, on commencera donc par écrire l'orbite de
:
. Le premier élément non rangé est . Son
orbite est . L'élément n'a pas été rangé, son orbite
est . Le plus petit élément non rangé à ce stade est ,
dont l'orbite est
. Tous les éléments
ont alors été rangés,
et la décomposition en orbites de est :
Définition 3
Soit
une permutation et
sa décomposition en orbites.
On appelle signature de la
permutation et on note
:
où
sont les longueurs des orbites successives dans la
décomposition de .
Toujours sur le même exemple, les longueurs des orbites successives
sont , la signature est donc
.
Soyons honnêtes : sachant décomposer une permutation en orbites
et en déduire sa signature, vous en savez assez pour calculer
des déterminants, ce qui après tout est bien le but de ce
chapitre. Il serait dommage de vous en tenir là, car vous
perdriez le sel algébrique du groupe des permutations.
Voici le résultat principal de cette section.
Théorème 1
L'application signature, de
dans
est l'unique homomorphisme surjectif entre ces deux groupes.
La démonstration comporte plusieurs étapes, qui sont autant de
résultats intéressants. D'abord, nous allons enrichir
les orbites pour donner un sens plus précis
à la notion de décomposition.
L'inconvénient de cette notation est que plusieurs écritures
différentes peuvent désigner le même cycle : et
par exemple. Comme ci-dessus, nous convenons d'écrire
en premier le plus petit élément du cycle. Ceci permet d'associer de
manière unique un cycle à une orbite.
Observez que dans la décomposition en orbites du cycle
on trouve
, et
points fixes. La signature du cycle
est :
Proposition 1
Soit une permutation et
sa décomposition en orbites. Alors est la composée des cycles
déduits des orbites de longueur
.
La vérification est immédiate.
Observez que deux cycles commutent si
les ensembles d'éléments qu'ils
concernent sont disjoints :
Dans une décomposition en orbites,
oubliez les singletons et ne conservez
que les orbites de longueur au moins 2, que vous transformez en
cycles : si
, remplacez
par
. Enfin,
remplacez les virgules dans l'énumération des orbites, par le signe de
composition :
votre permutation est une composée de cycles.
Les cycles de longueur jouent un rôle particulier. On les
appelle transpositions. Leur signature vaut .
Afin de faciliter la lecture, pour
nous noterons
la
transposition de et :
Proposition 2
Soit une permutation et
sa décomposition en orbites. Alors est la composée de
transpositions.
Remarquez que le nombre de transpositions dans cette décomposition
est exactement l'exposant de dans la définition de la signature.
Démonstration : Nous avons vu (proposition 1) que toute
permutation s'écrit comme une composée de cycles.
Il nous suffit de vérifier qu'un cycle de longueur est composée de
transpositions.
Voici une manière de décomposer le cycle
:
(vérifiez-le, par récurrence sur ). Toute permutation s'écrit donc comme un
produit (au sens de la composition des applications) de
transpositions. Une telle écriture n'a rien d'unique :
l'ordre de deux cycles disjoints peut être changé,
on peut toujours insérer deux fois la même
permutation dans le produit sans changer le résultat, etc.
Le miracle est que si deux
produits de transpositions donnent la même permutation, alors les
nombres de permutations dans ces deux produits ont la même
parité : c'est une conséquence du théorème
1. Le résultat suivant est l'étape
clé dans sa démonstration.
Lemme 1
Soit une permutation et une transposition. Alors :
Démonstration : L'idée de la démonstration est de montrer que la composée par une
transposition agit sur la décomposition en orbites, soit en cassant
une orbite en deux, soit en regroupant deux orbites. Dans les deux cas
l'exposant de la signature est soit augmenté, soit
diminué de , et
la signature est changée en son opposée.
Considérons la décomposition en orbites de .
Supposons que transpose les deux éléments distincts et et
examinons la décomposition en orbites de
.
De deux choses l'une : soit et appartiennent à la même
orbite de ,
soit et appartiennent à deux orbites distinctes.
- Si et appartiennent à la même
orbite de . Quitte à réordonner les éléments, nous pouvons
supposer sans perte de généralité que l'orbite est
, et que les deux éléments à transposer sont
et avec
. Pour la permutation
, l'image d'un entier est :
- si est différent de et ,
- si ,
- si .
L'orbite
est cassée en
et
. Le terme dans l'exposant de la signature
est remplacé par
. L'exposant de la
signature est diminué de , et celle-ci est changée en son
opposée.
- Si et appartiennent à deux orbites
distinctes de . Quitte à réordonner les éléments, nous
pouvons supposer sans perte de généralité que les deux orbites
sont
et
, avec
et que les deux éléments à transposer sont
et . Pour la permutation
, l'image d'un
entier est :
- si est différent de et
- si
- si
Les deux orbites
et
sont
regroupées en une seule :
. Les deux termes et
dans l'exposant de la signature sont remplacés par le terme
. L'exposant de la signature est augmenté de , et celle-ci
est encore changée en son opposée.
Nous avons maintenant tous les outils pour démontrer le théorème
1.
Démonstration : Nous commençons par démontrer que la signature est un
homomorphisme de groupes, de
dans
:
Soient et deux transpositions quelconques.
D'après la proposition 2,
est le produit de
transpositions, où
sont les longueurs des orbites de . Or d'après
le lemme 1, la composée d'une
transposition par une permutation quelconque mutiplie sa signature par
. La composée de par
transpositions successives
multiplie la signature par
, d'où le résultat.
Pour terminer la démonstration du théorème
1, nous devons démontrer l'unicité.
Soit une permutation quelconque : multiplions la transposition
à droite par et à gauche par : on
obtient la transposition
. N'importe quelle
transposition se déduit donc de
par une opération de
ce type (on dit que les transpositions sont toutes conjuguées).
Considérons maintenant un homomorphisme de groupe de
dans
. Comme est
un homomorphisme de groupes,
Toutes les transpositions, puisqu'elles sont conjuguées, doivent
avoir la même image par . Supposons que cette image commune soit
. Dans la mesure où toute permutation s'écrit commme un produit
de transpositions (proposition 2), on
obtient pour toute permutation
. Dans ce cas, l'homomorphisme est constant et donc non surjectif.
Si est supposé surjectif, alors
nécessairement l'image de toute transposition doit valoir . Donc
coïncide avec
sur toutes les
transpositions. Mais puisque toute permutation est produit de
transpositions et que et
sont tous les deux
des homorphismes de groupes,
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