La condensation de Dodgson

Soit à calculer un déterminant $ A=\vert a_{i,j}\vert _{i,j=1,\ldots,n}$. Il convient d'abord de le réarranger par combinaison de lignes et de colonnes, de manière à ce que ses coefficients d'indices compris entre 2 et $ n\!-\!1$ soient non nuls. La «condensation de Dodgson» se déroule en 3 étapes :
  1. former tous les déterminants $ 2\times 2$ possibles avec des termes contigus, que l'on place dans un déterminant de taille $ (n\!-\!1)\times (n\!-\!1)$,
  2. répéter l'opération de manière à obtenir un déterminant de taille $ (n\!-\!2)\times (n\!-\!2)$, disons $ C=\vert c_{i,j}\vert _{i,j=1,\ldots,n-2}$,
  3. diviser chaque terme $ c_{i,j}$ par le terme $ a_{i+1,j+1}$ du déterminant initial.
On itère ensuite jusqu'à atteindre la taille $ 1\times 1$, et diviser par le terme central du déterminant $ 3\times 3$ obtenu antérieurement : le résultat est le déterminant cherché. Vous n'êtes pas convaincu que l'algorithme fait bien ce qui est annoncé ? Il n'est peut-être pas utile de s'acharner à en savoir plus : il faut bien avouer qu'il n'a aucun intérêt ni pour le calcul à la main, ni pour l'implémentation sur machine. Le nombre d'opérations, certes plus réduit que pour le développement par lignes, reste très supérieur à celui de la méthode du pivot de Gauss.

Charles Dodgson (1832-1898) a publié cette méthode en 1866 sous le titre «Condensation of Determinants, Being a New and Brief Method for Computing their Arithmetical Values». Pas plus que sa méthode, il n'a laissé de souvenir impérissable, ni comme enseignant (il était professeur au Christ Church College d'Oxford mais avait des problèmes d'élocution), ni comme mathématicien.

An inveterate publisher of triffles [who] was forever putting up pamphlets, papers, broadsheets, and books on mathematical topics [that] earned him no reputation beyond that of a crochety, if sometimes amusing controversialist, a compiler of puzzles and curiosities, and a busy yet ineffective reformer on elementary points of computation and instructional methods. In the higher reaches of the subject he made no mark at all, and has left none since.
Voilà ce qui s'appelle habiller quelqu'un pour l'hiver. N'y a-t-il vraiment rien d'autre pour le sauver ? La religion ? Il n'alla pas jusqu'à être ordonné prêtre, mais il fut tout de même diacre et il prononçait régulièrement des sermons et servait des offices religieux. Ou bien la photographie ? Il laissa une collection de 3000 clichés. Rien de tout cela ne suffit à expliquer pourquoi Charles L. Dodgson est plus célèbre que n'importe quel autre mathématicien. Vous le connaissez sous le pseudonyme de Lewis Carroll : «Alice in Wonderland» est paru en 1865, un an avant la méthode de condensation. Profitons en pour tordre le cou une fois de plus à une rumeur tenace, qui a commencé à circuler peu après. La voici reprise dans une biographie datant de 1910.
A funny tale is told about Queen Victoria. It seems that Lewis Carroll sent the second presentation copy of ``Alice in Wonderland'' to Princess Beatrice, the Queen's youngest daughter. Her mother was so pleased with the book that she asked to have the author's other works sent to her, and we can imagine her surprise when she received a large package of learned treatises by the mathematical lecturer of Christ Church College.
L'anecdote est piquante, mais complètement imaginaire et d'ailleurs incompatible avec le caractère de Dodgson et le soin qu'il prit à se démarquer de Lewis Carroll. Il se crut tout de même obligé de publier un démenti trente ans plus tard.
I take this opportunity of giving what publicity I can to my contradiction of a silly story, which has been going the round of the papers, about my having presented certain books to Her Majesty the Queen. It is so constantly repeated, and is such absolute fiction, that I think it worthwhile to state, once for all, that it is utterly false in every particular: nothing even resembling it has occured.

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