Les excuses de Cramer

Il n'a fallu que trois pages à Gabriel Cramer (1704-1752) pour passer à la postérité. Ces trois pages constituent la première partie de l'Appendice de son livre «Introduction à l'analyse des lignes courbes algébriques», qui en comprend près de 700. Après avoir donné la solution générale d'un système linéaire de dimensions 1, 2 et 3, il poursuit :
L'examen de ces Formules fournit cette Règle générale. Le nombre des équations & des inconnues étant $ n$, on trouvera la valeur de chaque inconnue en formant $ n$ fractions dont le dénominateur commun a autant de termes qu'il y a de divers arrangements de $ n$ choses différentes...
Pas de doute, ce sont bien les formules de Cramer qu'il décrit. Ce n'est qu'une «Règle» marginale dans un ensemble monumental. Voici ce qu'il en dit dans la préface.
L'Appendice contient trois Démonstrations qui auraient trop interrompu la suite du Discours si on les avait insérées où elles sont citées. Il n'y a proprement que celle du N $ ^{\mathrm{o}}$. 2. qui soit nécessaire.
Pourtant le succès fut quasi immédiat. Gergonne raconte :
Cette méthode fut tellement en faveur, que les examens aux écoles des services publics ne roulaient, pour ainsi dire, que sur elle ; on était admis ou rejeté suivant qu'on la possédait bien ou mal.
Cramer aurait été le premier surpris d'apprendre d'où vient sa célébrité. Il n'en aura pas eu le temps : il semble que le travail excessif qu'il a fourni pour écrire ce monument soit à l'origine de la dégradation brutale de sa santé, et à son décès à seulement 48 ans. Quant à l'ampleur de l'ouvrage, il ne «vous en fera point d'excuses».
Tel est le plan que je me suis proposé dans cet essai. C'est à mes Lecteurs à juger si je l'ai rempli. J'ai tant de grâces à leur demander, que je ne leur ferai point d'excuses, ni sur le style, où je n'ai cherché que la clarté ; ni sur certains détails, que j'ai crû nécessaires aux jeunes Géomètres en faveur desquels j'écris ; ni sur la longueur de cet Ouvrage, dont je suis moi-même surpris. Elle vient principalement du nombre d'Exemples que j'apporte pour illustrer les Règles que je donne. Je sens fort bien que les Savants en voudraient moins, mais en échange les Commençants en désireraient peut-être davantage. Je puis dire aux uns, que je ne crois pas avoir placé un seul Exemple sans quelque raison particulière ; & j'ose assurer les autres que je ne pense pas qu'ils trouvent dans les Règles aucune difficulté qui ne soit éclaircie par quelque Exemple.

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