Dans une lettre à Thomas Stieltjes datant de 1893, Charles
Hermite écrivait «Je me
détourne avec effroi et horreur de cette plaie lamentable des
fonctions continues qui sont sans dérivée».
Jusqu'au XIXe siècle, tout le monde pensait
que toute courbe continue devait admettre des tangentes,
sauf peut-être en quelques points isolés,
comme la fonction valeur absolue. Dans un mémoire de 1806, Ampère
avait même tenté de le démontrer.
Aussi beaucoup furent-ils choqués quand Weierstrass donna
un exemple de fonction continue, mais
dérivable en aucun point. La fonction de Weierstrass s'exprime sous
forme de série trigonométrique.
Pour , la série est absolument convergente, et les
théorèmes généraux sur les séries de fonctions entraînent
que est continue. Si est assez grand, on démontre que
n'est dérivable en aucun point.
On admet facilement que la courbe de la figure 8
n'a pas de tangente. Un an après Weierstrass,
Darboux proposa une fonction analogue :
Figure 8:
Fonction de Weierstrass, pour et .
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Une autre manière de construire des fonctions continues nulle part
dérivables, consiste à ajouter à une fonction affine, des
dents de scie de plus en plus fines. Le premier exemple est
dû à Bolzano en 1830, mais comme beaucoup des travaux de Bolzano,
il ne fut pas publié, et resta longtemps ignoré.
L'exemple de la figure 9 fait partie de cette famille
de fonctions. On l'obtient en itérant une transformation consistant
à remplacer chaque segment de droite par trois autres segments.
Figure 9:
Fonction continue nulle part dérivable.
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Sans doute Poincaré pensait-il à ces exemples quand il disait, en
1899 : «Autrefois, quand on inventait une fonction
nouvelle, c'était en vue de quelque but pratique ; aujourd'hui on
les invente tout exprès pour mettre en défaut les raisonnements de
nos pères, et on n'en tirera jamais que cela».
Sur la dernière partie de sa phrase, il
se trompait lourdement...
L'agitation désordonnée de particules dans
un fluide avait été observée par le biologiste anglais Brown au
début du XIXe siècle, mais il fallut assez longtemps pour que
les physiciens établissent le rapport entre le mouvement des
particules et la diffusion de la chaleur. Dans un de ses articles
de 1905, Albert Einstein proposa une modélisation
cinétique de ce mouvement, dont découlait l'équation de la
chaleur, établie par Fourier en 1808. Le travail, poursuivi par
Perrin en 1909, conduisit à une étude théorique du mouvement
brownien, comme objet mathématique, par Wiener en 1923. Dès ses
premiers mots sur le mouvement brownien, Wiener cite un article de
Perrin, qui évoque les courbes sans tangente
des mathématiciens. Et de fait, Wiener bâtit un modèle dans
lequel les trajectoires sont continues, avec une vitesse infinie en
tout point.
Quel est ce modèle ? Pour s'en faire une idée, le plus
simple est de partir du jeu de pile ou face. Si la
pièce est équilibrée, le joueur a une chance sur deux de gagner
un euro, et une chance sur deux de perdre un euro. Le gain ou la perte
au fil des parties est la somme cumulée des gains ou pertes de
chaque partie. Partant d'une fortune nulle, la fortune du
joueur à la -ième partie est aléatoire.
La figure 10 représente 3
trajectoires de en fonction de ,
sur parties jouées. Ces courbes donnent une bonne idée de
ce que sont les trajectoires du mouvement brownien. Pour le définir,
on accélère l'échelle de temps d'un
facteur , et on raccourcit l'échelle des fortunes d'un
facteur . On peut définir le mouvement brownien
à l'instant comme la limite suivante.
Figure 10:
Jeu de pile ou face équitable : évolutions sur
parties.
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En 1900, dans sa thèse (dirigée par Poincaré), Louis
Bachelier utilise l'analogie des jeux de hasard et de l'agitation
moléculaire pour poser les bases d'une théorie des spéculations
financières. Son travail, longtemps ignoré, fait aujourd'hui figure
de précurseur. Le calcul sur le mouvement brownien, dit calcul
stochastique, est désormais l'outil principal
des mathématiques financières. Les
formules qu'on en déduit permettent de fixer le prix des options, et
elles sont implémentées dans les logiciels utilisés
quotidiennement sur toutes
les places financières.
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