Interversion de limites

La liste d'exemples qui suit a pour but de vous montrer la diversité des situations que nous envisageons dans ce chapitre, mais aussi de vous inciter à la prudence.

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}^*\;,\quad \lim_{m\to+\infty}\frac{m}{n}=+\infty$   mais$\displaystyle \quad
\forall m\in \mathbb{N}^* \;,\quad\lim_{n\to+\infty}\frac{m}{n}=0\;.
$

$\displaystyle \forall a\in\mathbb{R}^+\;,\quad \lim_{x\to+\infty}a\mathrm{e}^{-x}=0$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in \mathbb{R}^+ \;,\quad\lim_{a\to+\infty}a\mathrm{e}^{-x}=+\infty\;.
$

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad \lim_{x\to 1^-}x^n=1$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in [0,1[\;,\quad \lim_{n\to+\infty}x^n=0\;.
$

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad \lim_{x\to 1^+}x^n=1$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in ]1,+\infty[ \;,\quad\lim_{n\to+\infty}x^n=+\infty\;.
$

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad \lim_{x\to 1^-}\sum_{k=0}^{2n} (-x)^k = 0$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in [0,1[ \;,\quad\sum_{k=0}^{+\infty}(-x)^k=\frac{1}{1+x}\;.
$

Pour les exemples qui suivent, $ \mathbb{I}_A$ désigne la fonction indicatrice d'un sous ensemble $ A$ de $ \mathbb{R}$ : $ \mathbb{I}_A(x)=1$ si $ x\in A$, 0 sinon.

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad \lim_{x\to +\infty} \mathbb{I}_{[n,+\infty[}(x)=1$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in \mathbb{R}\;,\quad\lim_{n\to+\infty} \mathbb{I}_{[n,+\infty[}(x)=0\;.
$

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}\;,\quad \lim_{x\to 0^+} \mathbb{I}_{[0,\frac{1}{n}[}(x)=1$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in ]0,1] \;,\quad\lim_{n\to+\infty} \mathbb{I}_{[0,\frac{1}{n}[}(x)=0\;.
$

$\displaystyle \forall n\in\mathbb{N}^*\;,\quad \int_0^1 n\mathbb{I}_{]0,\frac{1}{n}]}(x) \mathrm{d}x=1$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in [0,1[ \;,\quad\lim_{n\to +\infty}
n\mathbb{I}_{]0,\frac{1}{n}]}(x)=0\;.
$

$\displaystyle \forall a\in\mathbb{R}^+\;,\quad \int_0^{+\infty} \mathbb{I}_{[a,+\infty[}(x) \mathrm{d}x=+\infty$   mais$\displaystyle \quad
\forall x\in \mathbb{R}\;,\quad\lim_{a\to +\infty} \mathbb{I}_{[a,+\infty[}(x)=0\;.
$

Dans toutes ces situations, deux calculs de limites portant successivement sur chacune des variables ne donnent pas le même résultat si les variables sont échangées : on ne peut pas intervertir les deux limites. La convergence uniforme est une condition suffisante sous laquelle l'interversion de deux limites est possible. Nous commençons par le cas le plus simple, celui d'une «double» suite.

Théorème 1   Pour tout $ m\in \mathbb{N}$, soit $ (u_{n,m})_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de réels ou de complexes, qui converge vers $ a_m$, uniformément en $ m$ :

$\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists n_0\in\mathbb{N} ,\;\forall n...
...derline{\forall m\in\mathbb{N}}\;,\quad \vert u_{n,m}-a_m\vert<\varepsilon \;.
$

Supposons de plus que pour tout $ n\in\mathbb{N}$ la suite $ (u_{m,n})_{m\in\mathbb{N}}$ converge, et soit $ b_n$ sa limite.

Alors les deux suites $ (a_m)_{m\in\mathbb{N}}$ et $ (b_n)_{n\in\mathbb{N}}$ convergent vers la même limite.

$\displaystyle \lim_{m\to +\infty} a_m=
\lim_{m\to +\infty}\left(\lim_{n\to +\in...
...n\to +\infty}\left(\lim_{m\to +\infty} u_{m,n}\right)=
\lim_{n\to +\infty} b_n
$

Pour bien comprendre l'adverbe «uniformément», comparez avec «pour tout $ m\in \mathbb{N}$, la suite $ (u_{n,m})_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ a_m$» :

$\displaystyle \underline{\forall m\in\mathbb{N}} ,\;
\forall \varepsilon >0 ,...
...in\mathbb{N} ,\;\forall n>n_0
\;,\quad \vert u_{n,m}-a_m\vert<\varepsilon \;.
$

Le rang $ n_0$ dépend non seulement de $ \varepsilon $, mais aussi de $ m$. La convergence est uniforme en $ m$, si ce rang $ n_0$ vaut pour tous les $ m$. Remarquez que l'hypothèse d'uniformité implique la convergence des deux suites $ (a_m)$ et $ (b_n)$. Démonstration : Dans $ \mathbb{R}$ comme dans $ \mathbb{C}$, une suite est convergente si et seulement si c'est une suite de Cauchy. Ici les suites $ (u_{n,m})_{n\in\mathbb{N}}$ sont de Cauchy uniformément en $ m$. Commençons par le démontrer. Pour tous $ m,n,k\in\mathbb{N}$,

$\displaystyle \vert u_{m,n+k}-u_{m,n}\vert\leqslant \vert u_{m,n+k}-a_m\vert+\vert a_m-u_{m,n}\vert
$

Fixons $ \varepsilon >0$. Par hypothèse, il existe $ n_0$ tel que pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$, et pour tout $ m$,

$\displaystyle \vert u_{m,n+k}-a_m\vert<\frac{\varepsilon }{2}$   et$\displaystyle \quad
\vert u_{m,n}-a_m\vert<\frac{\varepsilon }{2}
$

Donc pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$, et pour tout $ m$,

$\displaystyle \vert u_{m,n+k}-u_{m,n}\vert<\varepsilon
$

Dans cette inégalité, prenons la limite en $ m$ : pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$ :

$\displaystyle \vert b_{n+k}-b_n\vert\leqslant\varepsilon \;.
$

La suite $ (b_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est une suite de Cauchy, donc elle converge. Soit $ l$ sa limite. Nous devons montrer que la suite $ (a_m)_{n\in\mathbb{N}}$ converge elle aussi vers $ l$.

$\displaystyle \vert a_m-l\vert\leqslant \vert a_m-u_{m,n}\vert+\vert u_{m,n}-b_n\vert+\vert b_n-l\vert\;.
$

Il existe $ n_0$ tel que pour tout $ n>n_0$, $ \vert b_n-l\vert<\varepsilon /3$. Il existe $ n_1$ tel que pour tout $ n>n_1$ et pour tout $ m$, $ \vert a_m-u_{m,n}\vert<\varepsilon /3$. Fixons alors $ n_2\geqslant \max\{n_0,n_1\}$. La suite $ (u_{m,n_2})$ converge vers $ b_{n_2}$, donc il existe $ m_0$ tel que pour tout $ m>m_0$, $ \vert u_{m,n_2}-b_{n_2}\vert<\varepsilon /3$. Au bilan, pour tout $ m>m_0$ :

$\displaystyle \vert a_m-l\vert\leqslant \frac{\varepsilon }{3}+\frac{\varepsilon }{3}+\frac{\varepsilon }{3}=\varepsilon \;.
$

$ \square$ Le théorème 1 est un cas particulier d'un résultat beaucoup plus général qui vaut pour n'importe quel cas de limites enchaînées : suites, mais aussi fonctions, limites à gauche, à droite, en $ \pm\infty$, etc. Tant que vous ne disposez pas d'une notion de limite suffisamment générale, vous en êtes réduit à récrire autant de définitions et de théorèmes qu'il y a de situations (apparemment) différentes. Nous allons le faire pour une suite de fonctions, avec une limite finie en un point.

Théorème 2   Soit $ I$ un intervalle ouvert de $ \mathbb{R}$. Pour tout $ n\in\mathbb{N}$, soit $ f_n : x\longmapsto f_n(x)$ une fonction définie sur $ I$, à valeurs dans $ \mathbb{R}$. Supposons que pour tout $ x\in I$, la suite de réels $ (f_n(x))_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ f(x)$, uniformément en $ x$ :

$\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists n_0\in\mathbb{N} ,\;\forall n...
...,,\;
\underline{\forall x\in I}\;,\quad \vert f_n(x)-f(x)\vert<\varepsilon \;.
$

Soit $ a$ un point de $ I$. Supposons que pour tout $ n\in\mathbb{N}$ la fonction $ f_n$ admet une limite en $ a$, notée $ l_n$.

Alors la suite $ (l_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge, $ f$ admet une limite en $ a$ et les deux limites sont les mêmes.

$\displaystyle \lim_{n\to +\infty}\left(\lim_{x\to a} f_n(x)\right)=
\lim_{x\to a}\left(\lim_{n\to +\infty} f_n(x)\right)
$

Bien sûr, nous pourrions invoquer le fait qu'une fonction $ f$ admet $ l$ pour limite en $ a$ si et seulement, pour toute suite $ x_n$ convergeant vers $ a$, la suite $ f(x_n)$ converge vers $ l$. Nous serions ramenés à la situation précédente, et nous déduirions le théorème 2 du théorème 1. Mais la question est suffisamment difficile, l'enjeu important et les notations compliquées, pour justifier une nouvelle démonstration que nous vous invitons à suivre en parallèle de la précédente. Démonstration : Commençons par démontrer que la suite $ l_n$ est de Cauchy. Pour tout $ n,k\in\mathbb{N}$ et pour tout $ x\in I$,

$\displaystyle \vert f_{n+k}(x)-f_n(x)\vert\leqslant \vert f_{n+k}(x)-f(x)\vert+\vert f(x)-f_n(x)\vert
$

Fixons $ \varepsilon >0$. Par hypothèse, il existe $ n_0$ tel que pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$, et pour tout $ x\in I$,

$\displaystyle \vert f_{n+k}(x)-f(x)\vert<\frac{\varepsilon }{2}$   et$\displaystyle \quad
\vert f_n(x)-f(x)\vert<\frac{\varepsilon }{2}
$

Donc pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$, et pour tout $ x\in I$,

$\displaystyle \vert f_{n+k}(x)-f_n(x)\vert<\varepsilon
$

Dans cette inégalité, prenons la limite quand $ x$ tend vers $ a$ : pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$ :

$\displaystyle \vert l_{n+k}-l_n\vert\leqslant\varepsilon \;.
$

La suite $ (l_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est une suite de Cauchy, donc elle converge. Soit $ l$ sa limite. Nous devons montrer que $ f(x)$ tend vers $ l$ quand $ x$ tend vers $ a$.

$\displaystyle \vert f(x)-l\vert\leqslant \vert f(x)-f_n(x)\vert+\vert f_n(x)-l_n\vert+\vert l_n-l\vert\;.
$

Il existe $ n_0$ tel que pour tout $ n>n_0$, $ \vert l_n-l\vert<\varepsilon /3$. Il existe $ n_1$ tel que pour tout $ n>n_1$ et pour tout $ x\in I$, $ \vert f(x)-f_n(x)\vert<\varepsilon /3$. Fixons alors $ n_2\geqslant \max\{n_0,n_1\}$. La fonction $ f_{n_2}(x)$ converge vers $ l_{n_2}$, donc il existe $ \eta$ tel que pour tout $ x\in ]a-\eta,a+\eta[$, $ \vert f_{n_2}(x)-l_{n_2}\vert<\varepsilon /3$. Au bilan, pour tout $ x\in ]a-\eta,a+\eta[$ :

$\displaystyle \vert f(x)-l\vert\leqslant \frac{\varepsilon }{3}+\frac{\varepsilon }{3}+\frac{\varepsilon }{3}=\varepsilon \;.
$

$ \square$ Pour être sûr que vous avez bien compris, et au risque de paraître lourd :

Théorème 3   Soient $ I$ et $ J$ deux intervalles ouverts de $ \mathbb{R}$, $ a$ un point de $ I$ et $ b$ un point de $ J$. Soit $ f :
(x,y)\longmapsto f(x,y)$ une fonction définie sur $ I\times J$, à valeurs dans $ \mathbb{R}$. Supposons que pour tout $ x\in I$, l'application partielle $ y\longmapsto f(x,y)$ admet $ g(x)$ comme limite en $ b$, uniformément en $ x$ :

$\displaystyle \forall \varepsilon >0 ,\;\exists \eta>0 ,\;\forall y\in]b-\eta...
...,,\;
\underline{\forall x\in I}\;,\quad \vert f(x,y)-g(x)\vert<\varepsilon \;.
$

Soit $ a$ un point de $ I$. Supposons que pour tout $ y\in J$, l'application partielle $ x\longmapsto f(x,y)$ admet une limite en $ a$, notée $ h(y)$.

Alors $ h$ admet une limite en $ b$, $ g$ admet une limite en $ a$ et les deux limites sont les mêmes.

$\displaystyle \lim_{y\to b}\left(\lim_{x\to a} f(x,y)\right)=
\lim_{x\to a}\left(\lim_{y\to b} f(x,y)\right)
$

Comme vous ne connaissez pas encore le critère de Cauchy généralisé, nous allons devoir passer par les suites pour l'une des deux variables, ce qui va rendre cette démonstration très proche de la précédente. Démonstration : Soit $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite convergeant vers $ b$ : la suite $ f(x,y_n)$ converge vers $ g(x)$, uniformément en $ x$. Pour tout $ n,k\in\mathbb{N}$ et pour tout $ x\in I$,

$\displaystyle \vert f(x,y_{n+k})-f(x,y_{n})\vert\leqslant \vert f(x,y_{n+k})-g(x)\vert+\vert g(x)-f(x,y_n)\vert
$

Fixons $ \varepsilon >0$. Par hypothèse, il existe $ n_0$ tel que pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$, et pour tout $ x\in I$,

$\displaystyle \vert f(x,y_{n+k})-g(x)\vert<\frac{\varepsilon }{2}$   et$\displaystyle \quad
\vert f(x,y_n)-g(x)\vert<\frac{\varepsilon }{2}
$

Donc pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$, et pour tout $ x\in I$,

$\displaystyle \vert f(x,y_{n+k})-f(x,y_n)\vert<\varepsilon
$

Dans cette inégalité, prenons la limite quand $ x$ tend vers $ a$ : pour tout $ n>n_0$, pour tout $ k\geqslant 0$ :

$\displaystyle \vert h(y_{n+k})-h(y_n)\vert\leqslant\varepsilon \;.
$

La suite $ (h(y_n))_{n\in\mathbb{N}}$ est une suite de Cauchy, donc elle converge. Soit $ l$ sa limite. Nous devons montrer que $ g(x)$ tend vers $ l$ quand $ x$ tend vers $ a$.

$\displaystyle \vert g(x)-l\vert\leqslant \vert g(x)-f(x,y_n)\vert+\vert f(x,y_n)-h(y_n)\vert+\vert h(y_n)-l\vert\;.
$

Il existe $ n_0$ tel que pour tout $ n>n_0$, $ \vert h(y_n)-l\vert<\varepsilon /3$. Il existe $ n_1$ tel que pour tout $ n>n_1$ et pour tout $ x\in I$, $ \vert g(x)-f(x,y_n)\vert<\varepsilon /3$. Fixons alors $ n_2\geqslant \max\{n_0,n_1\}$. La fonction $ f(x,y_{n_2})$ converge vers $ h(y_{n_2})$, donc il existe $ \eta$ tel que pour tout $ x\in ]a-\eta,a+\eta[$, $ \vert f(x,y_{n_2})-h(y_{n_2})\vert<\varepsilon /3$. Au bilan, pour tout $ x\in ]a-\eta,a+\eta[$ :

$\displaystyle \vert g(x)-l\vert\leqslant \frac{\varepsilon }{3}+\frac{\varepsilon }{3}+\frac{\varepsilon }{3}=\varepsilon \;.
$

A priori, nous avions choisi une suite particulière $ (y_n)$, mais le fait que la limite de $ (h(y_n))$ soit aussi la limite en $ a$ de $ g$ prouve que cette limite ne dépend pas de la suite choisie.$ \square$ Vous voilà armés pour comprendre les hypothèses de convergence uniforme et les interversions de limite que vous allez rencontrer dans tout le reste du chapitre. Vous avez encore un doute ? Il y a 5 types de limites pour une fonction (en un point, à gauche, à droite, en $ \pm\infty$). Prenez deux types de limite, écrivez qu'une convergence est uniforme par rapport à l'autre variable, puis démontrez l'interversion. Par exemple : si $ f(x,y)$ est une fonction de deux variables, écrivez l'hypothèse de convergence uniforme adéquate, puis démontrez en utilisant votre hypothèse que

$\displaystyle \lim_{y\to -\infty}\left(\lim_{x\to a^+} f(x,y)\right)=
\lim_{x\to a^+}\left(\lim_{y\to -\infty} f(x,y)\right)
$

Vous aurez compris bien avant la fin des $ 25$ exercices !


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