Il ne faut pas espérer qu'une série entière converge uniformément
sur tout
, voici pourquoi.
Proposition 5
La limite uniforme sur un intervalle non borné de
,
d'une suite de polynômes est un polynôme.
Démonstration : Soit une suite de polynômes. Si elle converge uniformément
sur , elle est uniformément de Cauchy. Il existe tel que
pour tout , et pour tout ,
Le polynôme
doit donc être borné sur qui est non borné :
ce n'est possible que s'il est constant. Donc :
Soit la limite de la suite .
Sur un intervalle fermé borné, la situation change radicalement.
Théorème 22 (de Weierstrass)
Toute fonction continue sur un intervalle fermé borné est limite
uniforme d'une suite de polynômes.
Ce magnifique résultat a fait l'objet de
toutes sortes de démonstrations, et de généralisations
(sous le nom de «Théorème de Stone-Weierstrass»).
C'est un théorème d'existence, qui ne dit rien a priori
sur la manière de construire la suite de polynômes qu'il affirme
exister. Il se trouve qu'il est possible de construire une telle
suite...
en jouant tout simplement à pile ou face.
Soit une fonction continue de dans
.
Soit , et supposez que vous disposiez d'une pièce
qui retourne «Pile» avec probabilité . Si vous lancez la pièce
fois, le nombre de fois où vous obtenez «Pile» suit la loi
binomiale de paramètres et : il vaut
avec probabilité :
La loi des grands nombres (et votre bon sens) dit que si est grand,
le nombre de fois où vous tombez sur pile divisé par (la
fréquence), est proche
de . En termes probabilistes, la loi de probabilité de la variable
aléatoire «fréquence de Pile» converge vers la masse de Dirac
en . Donc pour toute fonction continue sur ,
Et voilà le travail ! Euh pas tout à fait quand même. La loi des grands
nombres n'affirme qu'une limite simple et il reste à démontrer
qu'elle est uniforme.
Démonstration : Comme entrée en matière,
vérifier que la somme des probabilités de la loi binomiale vaut
relève de la formule du binôme (d'où le nom).
Vous savez peut être aussi que l'espérance de la loi
est et que sa variance est :
et
(Oubliez les probabilités, et redémontrez directement ces formules, c'est
un bon exercice).
Soit une fonction continue sur . Elle est bornée : il existe tel que
De plus, d'après le théorème de Heine,
elle est uniformément continue. Pour tout
, il existe tel que
La différence entre et son approximation
d'ordre , s'exprime comme suit :
Notons cette somme .
Nous la séparons en deux, en isolant les valeurs de
telles que
est proche de :
et
Il ne reste plus qu'à choisir tel que pour tout ,
. Passer de l'intervalle à n'importe quel intervalle fermé borné
demande un simple changement de variable affine :
.
N'en déduisez pas pour autant que les polynômes de Bernstein soient une
bonne méthode pour calculer des approximations de fonctions. L'erreur en norme
uniforme sur est de l'ordre de
, ce qui
est bien plus mauvais que ce que l'on obtient avec les polynômes de Lagrange,
Hermite, Legendre, ou autres.
Bonne nouvelle, nous changeons de siècle : ce qui précède est paru
dans une petite note de deux pages (en français)
aux Communications de la Société Mathématique de Kharkov, volume 13, année 1912/13,
sous le titre «Démonstration du théorème de Weierstrass fondée sur le calcul des
probabilités». Pourquoi Sergueï Natanovitch Bernstein (1880-1968),
natif d'Odessa, écrivait-il en français à Kharkov ? D'une part parce qu'il avait
fait sa thèse à Paris (Hilbert et Picard au jury tout de
même...), d'autre part parce
que c'était encore un temps où une grande partie des scientifiques comprenaient
le français. Revenu en Russie, et malgré son parcours
parisien brillant, il avait dû passer un second doctorat à Kharkov
pour pouvoir y enseigner,
son diplôme étranger n'étant pas reconnu.
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