La quadrature du cercle

Étant donné un cercle, dessiné sur une feuille de papier, construire en utilisant uniquement une règle et un compas, un carré dont la surface est égale à celle du cercle.
Tel est l'énoncé du problème dit de «la quadrature du cercle», qui a occupé les mathématiciens amateurs et professionnels pendant tant de siècles, qu'il est devenu dans le langage courant un archétype de problème insoluble. Effectivement, la quadrature du cercle est impossible, et la démonstration définitive a été donnée en 1882 par Carl von Lindemann (1852-1939). Ceci n'empêche pas de nombreux amateurs peu au fait des mathématiques d'essayer encore et encore, et de proposer leurs solutions (fausses bien sûr). Au point que l'Académie des Sciences a dû déclarer que désormais elle refuserait d'examiner tout mémoire portant sur la quadrature du cercle.

On peut construire à la règle et au compas toutes sortes de droites, de cercles et de points. On peut construire des perpendiculaires et des parallèles, des médianes, des médiatrices, des bissectrices...  Qu'est-ce qui distingue ce qui peut être construit à la règle et au compas de ce qui ne peut pas ? La réponse fut donnée en 1837 par Pierre-Laurent Wantzel (1814-1848) (il avait 23 ans).

On appelle nombre constructible toute coordonnée d'un point que l'on peut construire à la règle et au compas, à partir d'un repère orthonormé donné du plan.

Théorème 6   Tout nombre constructible est racine d'un polynôme à coefficients entiers, et le plus petit degré d'un polynôme à coefficients entiers dont ce nombre est racine est une puissance de $ 2$.

Wantzel mettait ainsi un point final à deux autres problèmes célèbres hérités des Grecs : la duplication du cube (construire un cube de volume double de celui d'un cube donné), et la trissection de l'angle (construire un angle égal au tiers d'un angle donné). Mais il ne résolvait pas tout à fait la quadrature du cercle. Le côté d'un carré dont la surface est égale à $ \pi$ est $ \sqrt{\pi}$. D'après le théorème de Wantzel, si $ \sqrt{\pi}$ est constructible alors $ \pi$ l'est aussi. Comment prouver que $ \pi$ n'est pas constructible ? Il se trouve que $ \pi$ est transcendant, c'est à dire qu'il n'est racine d'aucun polynôme à coefficients entiers. Que $ \pi$ est irrationnel avait déjà été soupçonné par les Grecs (en particulier Archimède) et conjecturé après eux par les mathématiciens arabes, notamment Al Biruni (973-1049) (dont La Fontaine a injustement fait «Aliboron»). Il fallut attendre Jean-Henri Lambert en 1766 pour la première démonstration, à base de fractions continues. Du fait de l'enjeu (la quadrature du cercle), la transcendance de $ \pi$ fit l'objet d'une belle compétition entre mathématiciens, tout au long du XIXe siècle. Lindemann remporta la palme en 1882, en utilisant la transcendance de $ \mathrm{e}$, démontrée avant lui par Charles Hermite.

La démonstration de Lindemann est beaucoup trop difficile pour être exposée ici. En utilisant uniquement les outils à votre disposition, et en particulier les calculs d'intégrales, nous allons prouver plus modestement l'irrationalité de $ \pi$, par une démonstration différente de celle de Lambert.

Théorème 7   Le nombre $ \pi$ est irrationnel.

Démonstration : C'est une démonstration par l'absurde. On suppose que $ \pi$ est rationnel, donc qu'il s'écrit $ \pi=p/q$, où $ p$ et $ q$ sont deux entiers. Pour tout $ n\in\mathbb{N}$, posons :

$\displaystyle I_n =\int_0^\pi \big(x(p-q x)\big)^n \sin(x) \mathrm{d}x\;.
$

Observez que $ x(p-qx)$ s'annule pour $ x=0$ et pour $ x=\pi$, par hypothèse. Entre les deux, $ x(p-qx)$ et $ \sin(x)$ sont strictement positifs ; donc l'intégrale $ I_n$ est strictement positive pour tout $ n$.

La démonstration comporte deux étapes. On montre d'abord que $ I_n$ est un entier divisible par $ n!$, ensuite que $ I_n/n!$ tend vers 0 quand $ n$ tend vers l'infini. Mais une suite d'entiers qui tend vers 0 est nulle à partir d'un certain rang. Or $ I_n$ est strictement positive pour tout $ n$. D'où la contradiction.

Étape 1 : $ I_n$ est un multiple entier de $ n!$.
C'est une démontration par récurrence, pour laquelle il nous faut une formule du même métal. On l'obtient grâce à deux intégrations par parties successives.

$\displaystyle I_n$ $\displaystyle =$ $\displaystyle \Big[\big(x(p-qx)\big)^n(-\cos(x))\Big]_0^\pi
+\int_0^\pi n(p-2qx)\big(x(p-qx)\big)^{n-1}\cos(x) \mathrm{d}x$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle \int_0^\pi n(p-2qx)\big(x(p-qx)\big)^{n-1}\cos(x) \mathrm{d}x$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle \Big[n(p-2qx)\big(x(p-qx)\big)^{n-1}\sin(x)\Big]_0^\pi$  
    $\displaystyle -\int_0^\pi \Big(-2nq\big(x(p-qx)\big)^{n-1}+
n(n-1)(p-2qx)^2\big(x(p-qx)\big)^{n-2}\Big)\sin(x) \mathrm{d}x$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle \int_0^\pi 2nq\big(x(p-qx)\big)^{n-1}\sin(x) \mathrm{d}x
-\int_0^\pi n(n-1)p^2\big(x(p-qx)\big)^{n-1}\sin(x) \mathrm{d}x$  
    $\displaystyle +\int_0^\pi 4n(n-1)qx(p-qx)\big(x(p-qx)\big)^{n-2}\sin(x) \mathrm{d}x$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle 2nq  I_{n-1}-n(n-1)p^2  I_{n-2}+4n(n-1)q I_{n-1}$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle 2nq(1+2(n-1))  I_{n-1}-n(n-1)p^2  I_{n-2}\;.$  

Pour initialiser la récurrence, calculons $ I_0$ et $ I_1$.

$\displaystyle I_0=\int_0^\pi \sin(x) \mathrm{d}x=\Big[-\cos(x)\Big]_0^\pi=2\;.
$

On calcule $ I_1$, à nouveau par parties.
$\displaystyle I_1$ $\displaystyle =$ $\displaystyle \displaystyle{\int_0^\pi x(p-qx)\sin(x) \mathrm{d}x}$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle \displaystyle{
\Big[x(p-qx)(-\cos(x))\Big]_0^\pi+
\int_0^\pi (p-2qx)\cos(x) \mathrm{d}x}$  
  $\displaystyle =$ $\displaystyle \displaystyle{
\Big[(p-2qx)\sin(x)\Big]_0^\pi+
\int_0^\pi 2q\sin(x) \mathrm{d}x=4q\;.}$  

Donc $ I_0$ et $ I_1$ sont entiers (multiples de $ 0!=1!=1$). L'expression de $ I_n$ en fonction de $ I_{n-1}$ et $ I_{n-2}$ montre que si $ I_{n-1}$ est multiple entier de $ (n-1)!$ et $ I_{n-2}$ est multiple entier de $ (n-2)!$, alors $ I_n$ est multiple entier de $ n!$. D'où le résultat, par récurrence. Étape 2 : La suite $ (I_n/n!)$ converge vers 0.
Le maximum de la fonction $ x\mapsto x(p-qx)$ est atteint pour $ x=p/(2q)$ et vaut $ p^2/(4q)$. Donc :

$\displaystyle I_n\leqslant \left(\frac{p^2}{4q}\right)^n\int_0^\pi \sin(x) \mathrm{d}x
= 2\left(\frac{p^2}{4q}\right)^n\;.
$

Or pour tout $ a\in \mathbb{R}$, la suite $ (a^n/n!)$ converge vers 0, d'où le résultat.$ \square$ Au passage, ce n'est que depuis le XVIIe siècle que le rapport de la circonférence d'un cercle à son diamètre se note $ \pi$ (du terme grec $ \pi\varepsilon\rho\acute\iota\mu\varepsilon\tau\rho
o\varsigma$ (périmètre), qu'Archimède utilisait pour désigner la circonférence). Il semble que ce soit William Oughtred (1574-1660) qui ait le premier utilisé la notation $ \pi$, comme les signes $ \pm$ et $ \times$. Il a aussi construit une des premières échelles logarithmiques, ouvrant ainsi la voie à la règle à calcul. La lettre $ \pi$ est devenue une notation standard après les travaux d'Euler en 1737.

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