Construction des réels

Par des arguments d'arithmétique élémentaire, il est facile de prouver qu'il n'existe pas de carré de côté de longueur rationnelle dont l'aire est égale à $ 2$ : l'équation $ x^2=2$ n'a pas de solution dans $ \mathbb{Q}$. Néanmoins, il existe une infinité de suites de rationnels $ (x_n)_{n\in\mathbb{Q}}$, telles que $ x_n^2$ converge vers $ 2$. C'est le cas par exemple, pour toute suite définie par $ x_0\in\mathbb{Q}^{+*}$ et:

$\displaystyle \forall n\in \mathbb{N}\;,\quad x_{n+1} = x_n-\frac{x_{n+1}^2-2}{2x}\;.
$

(Démontrez-le !) Une conséquence est que la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ ne converge pas dans $ \mathbb{Q}$.

Sans perdre de propriétés algébriques, nous allons construire un nouveau corps $ \mathbb{R}$ totalement ordonné contenant $ \mathbb{Q}$ et dans lequel toutes les suites qui devraient naturellement converger (ce seront les suites de Cauchy) seront effectivement convergentes.

Définition 7   Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite d'éléments de $ \mathbb{Q}$, c'est-à-dire une application de $ \mathbb{N}$ dans $ \mathbb{Q}$.
(i)
La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est bornée s'il existe $ M\in\mathbb{Q}$ tel que

$\displaystyle (\forall n\in\mathbb{N})\quad (\vert x_n\vert\leqslant M).$

(ii)
La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge dans $ \mathbb{Q}$ vers $ x\in\mathbb{Q}$ si

$\displaystyle (\forall\varepsilon>0,\varepsilon\in\mathbb{Q})\quad(\exists N_\v...
...\mathbb{N})\quad(n>N_\varepsilon \Longrightarrow \vert x_n-x\vert<\varepsilon).$

(iii)
La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est de Cauchy dans $ \mathbb{Q}$ si

$\displaystyle (\forall\varepsilon>0,\varepsilon\in\mathbb{Q})\quad(\exists N_\v...
..._\varepsilon, q>N_\varepsilon 
\Longrightarrow \vert x_p-x_q\vert<\varepsilon).$

Proposition 18    
  1. Toute suite convergente est de Cauchy.

  2. Toute suite de Cauchy est bornée.

  3. Si la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers 0 et si la suite $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est bornée, la suite $ (x_n\times y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers 0.

  4. Si les suites $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ et $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ sont de Cauchy, les suites $ (x_n+y_n)_{n\in\mathbb{N}}$, $ (x_n-y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ et $ (x_n\times y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ sont de Cauchy.

  5. Si la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ a$ et si la suite $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ b$, la suite $ (x_n+y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ a+b$, la suite $ (x_n-y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ a-b$ et la suite $ (x_n\times y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ a\times b$.

  6. Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de Cauchy ne convergeant pas vers 0, alors il existe un entier $ n_0$ tel que si $ n>n_0$ on a $ x_n\neq
0$ et la suite $ (\frac{1}{x_n})_{n>n_0}$ est de Cauchy.

Démonstration :  
1.
Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite qui converge dans $ \mathbb{Q}$ vers $ x\in\mathbb{Q}$, alors pour $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in\mathbb{Q}$, il existe $ N_\varepsilon \in\mathbb{N}$ tel que pour tout $ n\in\mathbb{N}$

$\displaystyle n>N_\varepsilon \Longrightarrow \vert x_n-x\vert<\varepsilon.$

Par conséquent pour $ n>N_{\varepsilon/2}$ et $ p>N_{\varepsilon/2}$ on a $ \vert x_p-x_n\vert\leqslant\vert x_p-x\vert+\vert x_n-x\vert<\varepsilon$ et la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est donc de Cauchy dans $ \mathbb{Q}$.

2.
Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de Cauchy dans $ \mathbb{Q}$, alors

$\displaystyle (\forall\varepsilon>0,\varepsilon\in\mathbb{Q})\quad(\exists N_\v...
..._\varepsilon, q>N_\varepsilon 
\Longrightarrow \vert x_p-x_q\vert<\varepsilon).$

En prenant $ \varepsilon=1$ on obtient que si $ n>N_1$ on a $ x_{N_1+1}-1<x_n<x_{N_1+1}+1$. Par conséquent si on pose $ M=\max(\vert x_0\vert,\dots,\vert x_{N_1}\vert,\vert x_{N_1+1}\vert+1)$, pour tout $ n\in\mathbb{N}$, $ \vert x_n\vert\leqslant M$ et la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est bornée.

3.
Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite qui converge dans $ \mathbb{Q}$ vers 0 et $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite bornée, alors pour $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in\mathbb{Q}$, il existe $ N_\varepsilon \in\mathbb{N}$ tel que pour tout $ n\in\mathbb{N}$

$\displaystyle n>N_\varepsilon \Longrightarrow \vert x_n\vert<\varepsilon,$

et il existe $ M>0$, $ M\in\mathbb{Q}$, tel que pour tout $ n\in\mathbb{N}$

$\displaystyle \vert y_n\vert\leqslant M.$

On en déduit que si $ n>N_{\varepsilon/M}$ alors

$\displaystyle \vert x_n\times y_n\vert\leqslant M\times \vert x_n\vert<M\times \frac{\varepsilon}{M}=\varepsilon.$

Les assertions 4) et 5) pour les sommes et les différences de suites sont des conséquences immédiates de l'inégalité triangulaire et des définitions et leur démonstration est laissée au lecteur. Prouvons 4) pour le produit, la démonstration de 5) pour le produit est analogue. Soient $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ et $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ deux suites de Cauchy, alors pour $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in\mathbb{Q}$, il existe $ N_\varepsilon \in\mathbb{N}$ et $ N'_\varepsilon \in\mathbb{N}$ tels que pour tout $ p,q\in\mathbb{N}$

$\displaystyle p>N_\varepsilon, q>N_\varepsilon \Longrightarrow \vert x_p-x_q\ve...
...'_\varepsilon, q>N'_\varepsilon \Longrightarrow \vert y_p-y_q\vert<\varepsilon.$

De plus, d'après 2), il existe $ M, M'>0$, $ M,M'\in\mathbb{Q}$, tels que pour tout $ n\in\mathbb{N}$

$\displaystyle \vert y_n\vert\leqslant M\quad{\rm et}\quad \vert y_n\vert\leqslant M.$

On en déduit que, pour tout $ p,q\in\mathbb{N}$,

$\displaystyle \vert x_p\times y_p-x_q\times y_q\vert=\vert(x_p-x_q)\times y_p+x_q\times(y_p-
y_q)\vert\leqslant M'\vert x_p-x_q\vert+M\vert y_p-y_q\vert.$

Posons $ N=\max(N_{\varepsilon/2M'},N'_{\varepsilon/2M})$, alors si $ p>N$ et $ q>N$ on a

$\displaystyle \vert x_p\times y_p-x_q\times y_q\vert<M'\times
\frac{\varepsilon}{2M'}+M\times \frac{\varepsilon}{2M}=\varepsilon.$

6.
Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de Cauchy ne convergeant pas vers 0, alors

$\displaystyle (\exists\alpha>0,\alpha\in\mathbb{Q})\quad(\forall N\in\mathbb{N})\quad(\exists
n\in\mathbb{N})\quad(n>N {\rm et} \vert x_n\vert\geqslant\alpha).$

La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ étant de Cauchy, il existe $ n_0\in\mathbb{N}$ tel que

$\displaystyle p>n_0, q>n_0 \Longrightarrow \vert x_p-x_q\vert<\frac{\alpha}{2}.$

En prenant $ N=n_0$, $ n=p$ alors pour tout $ q>n_0$ on a

$\displaystyle \vert x_n-x_q\vert<\frac{\alpha}{2}\quad {\rm et}\quad \vert x_n\vert\geqslant\alpha,$

soit $ \vert x_q\vert>\frac{\alpha}{2}$ grâce à l'inégalité triangulaire, d'où $ x_q\neq 0$ si $ q>n_0$. Soient $ p,q>n_0$, alors $ \vert x_p\vert>\frac{\alpha}{2}$ et $ \vert x_q\vert>\frac{\alpha}{2}$, d'où

$\displaystyle \left\vert\frac{1}{x_p}-\frac{1}{x_q}\right\vert<\frac{4}{\alpha^2}\vert x_p-x_q\vert.$

Donc puisque $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est une suite de Cauchy, la suite $ (\frac{1}{x_n})_{n>n_0}$ est de Cauchy.
$ \square$

Dans $ \mathbb{Q}$, il existe des suites de Cauchy non convergentes. Nous en avons vu des exemples plus haut. En voici un autre. Considérons la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ définie par

$\displaystyle x_n=1+\frac{1}{1!}+\dots+\frac{1}{n!}.$

Si $ p>q$, on a

$\displaystyle x_p-x_q$ $\displaystyle =\frac{1}{(q+1)!}+\dots+\frac{1}{p!}$    
  $\displaystyle \leqslant \frac{1}{(q+1)!}(1+\frac{1}{q+1}+\dots+\frac{1}{(q+1)^{p-q-1}})$    
  $\displaystyle \leqslant \frac{1}{(q+1)!}\frac{1}{1-\frac{1}{q+1}}=\frac{1}{q q!}.$    

Pour $ \varepsilon=\frac{a}{b}$, $ a,b\in\mathbb{N}^*$, $ p>b$ et $ q>b$ implique

$\displaystyle \vert x_p-x_q\vert<\frac{1}{b b!}\leqslant\varepsilon.$

Cette suite est donc de Cauchy, mais ne converge pas vers un nombre rationnel $ \frac{a}{b}$. Supposons qu'elle converge vers $ \frac{a}{b}$. Puisque l'inégalité

$\displaystyle 0<x_p-x_q<\frac{1}{q q!}$

est valable pour tout $ p>q$, en faisant tendre $ p$ vers l'infini on aurait

$\displaystyle 0<\frac{a}{b}-x_q<\frac{1}{q q!},$

la première inégalité restant stricte puisque la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ est croissante. Par définition de $ x_q$, si $ q\leqslant
b$, le nombre rationnel $ \frac{a}{b}-x_q$ peut être représenté par une fraction de la forme $ \frac{\alpha}{q!}$, $ \alpha\in\mathbb{Z}$, et donc $ 0<\alpha\leqslant\frac{1}{q}$, ce qui est impossible si $ q>1$.


On peut également considérer la suite $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ définie par

$\displaystyle y_n=1+\frac{1}{1!}+\dots+\frac{1}{n!}+\frac{1}{n!}.$

La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ est clairement croissante et la suite $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ est décroissante puisque

$\displaystyle y_{n+1}-y_n=\frac{1}{(n+1)!}+\frac{1}{(n+1)!}-\frac{1}{n!}
=\frac{1-n}{( n+1)!}\leqslant
0.$

De plus la suite $ (y_n-x_n=\frac{1}{n!})_{n\in\mathbb{N}^*}$ est une suite de rationnels positifs qui converge vers 0 et pour tous $ p,q\in\mathbb{N}^*$ on a $ x_p\leqslant y_q$. Par conséquent si ces suites convergeaient leurs limites seraient égales et cette limite $ l$ vérifierait $ x_p\leqslant l\leqslant
y_q$ pour tous $ p,q\in\mathbb{N}^*$.


On aimerait alors compléter $ \mathbb{Q}$ en un nouvel ensemble ordonné de nombres dans lequel toute suite de Cauchy serait convergente. Les deux suites $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ et $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}^*}$ précédentes auraient alors une limite commune dans cet ensemble qui serait située entre chacun des nombres rationnels $ x_n$ et $ y_n$. Nous allons construire un tel ensemble.

Précisons tout d'abord les propriétés souhaitées pour le nouvel ensemble de nombres que nous souhaitons construire.

Définition 8    
  1. Un corps $ K$ est dit totalement ordonné s'il est muni d'une relation d'ordre totale notée $ \leqslant$ telle que

    $\displaystyle (\forall x,y,z\in K)\quad (x\leqslant y \Longrightarrow x+z\leqslant y+z),$ (8)

    $\displaystyle (\forall x,y\in K)\quad (x\geqslant 0 {\rm et} y\geqslant 0 \Longrightarrow xy\geqslant 0).$ (9)

  2. Un corps $ K$ est dit archimédien s'il est totalement ordonné et si pour tous $ x,y\in K$ tel que $ x>0$, il existe $ n\in\mathbb{N}$ tel que $ nx>y$.

  3. Un corps $ K$ totalement ordonné est dit complet si toute suite de Cauchy dans $ K$ est convergente.

Nous allons construire un corps commutatif noté $ \mathbb{R}$ contenant $ \mathbb{Q}$ et qui sera archimédien et complet comme quotient de l'ensemble des suites de Cauchy de $ \mathbb{Q}$.

Notons $ \mathbb{Q}^\mathbb{N}$ l'ensemble des suites de rationnels, c'est-à-dire l'ensemble des applications de $ \mathbb{N}$ dans $ \mathbb{Q}$, et $ \mathcal{C}$ le sous-ensemble de $ \mathbb{Q}^\mathbb{N}$ constitué des suites de Cauchy.

Grâce à la propriété 4) des suites de rationnels l'ensemble $ \mathcal{C}$ des suites de Cauchy dans $ \mathbb{Q}$ est muni d'une structure d'anneau commutatif si on pose pour $ x=(x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ et $ y=(y_n)_{n\in\mathbb{N}}$

$\displaystyle x+y$ $\displaystyle =(x_n+y_n)_{n\in\mathbb{N}}$    
$\displaystyle x\times y$ $\displaystyle =xy=(x_ny_n)_{n\in\mathbb{N}}.$    

l'élément neutre de $ +$ est $ (0)$, la suite stationnaire nulle et l'élément neutre de $ \times$ est $ (1)$ la suite stationnaire d'éléments égaux à $ 1$.

Proposition 19   L'ensemble $ \mathcal{C}_0$ des suites de rationnels qui convergent vers 0 est un idéal de $ \mathcal{C}$.

Démonstration : Le fait que $ \mathcal{C}_0$ soit un sous-groupe additif de $ \mathcal{C}$ est une conséquence directe des propriétés 1) et 5) des suites de rationnels. Pour prouver que $ \mathcal{C}_0$ est un idéal de $ \mathcal{C}$, il reste à montrer que si $ x=(x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est un élément de $ \mathcal{C}_0$ et si $ y=(y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est une suite Cauchy de rationnels alors $ xy\in\mathcal{C}_0$. Cela résulte immédiatement des propriétés 2) et 3) des suites de rationnels. $ \square$

Définition 9   L'anneau quotient $ \mathcal{C}/\mathcal{C}_0$ est appelé droite numérique et noté $ \mathbb{R}$. Ses éléments sont appelés nombres réels.

Proposition 20   $ \mathbb{R}$ est un corps commutatif.

Démonstration $ \mathbb{R}$ est un anneau commutatif qui admet pour unité la classe $ \overline u$ des suites qui convergent vers $ 1$. Il reste à prouver que si une suite de Cauchy $ x=(x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ ne converge pas vers 0, il existe une suite de Cauchy $ y=(y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ telle que $ xy$ converge vers $ 1$. Par la propriété 6) des suites de rationnels, si $ x$ ne converge pas vers 0 il existe un entier $ n_0$ tel que la suite $ (\frac{1}{x_n})_{n>n_0}$ est de Cauchy. Posons $ y_n=0$ si $ n\leqslant n_0$ et $ y_n=\frac{1}{x_n}$ si $ n>n_0$, la suite $ y=(y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ ainsi construite est telle que la suite $ xy$ converge vers $ 1$. Ainsi on a

$\displaystyle \overline x \overline y=\overline {xy}=\overline u,$

ce qui prouve, puisque $ \overline x\neq 0$ si et seulement si $ x\notin\mathcal{C}_0$, que tout élément non nul de $ \mathbb{R}$ possède un inverse dans $ \mathbb{R}$. $ \square$

Proposition 21   On définit un isomorphisme $ \varphi$ de $ \mathbb{Q}$ sur un sous-corps de $ \mathbb{R}$ en associant à chaque rationnel $ q$ la classe $ \overline q$ constituée des suites de rationnels qui convergent vers $ q$.

Démonstration : Il résulte immédiatement de la propriété 4) des suites de rationnels que $ \varphi$ est un homomorphisme d'anneau. De plus puisque $ \overline
0=\mathcal{C}_0$, $ \ker \varphi=\{0\}$ et $ \varphi$ est donc injectif. Il définit donc un isomorphisme de $ \mathbb{Q}$ sur un sous-corps de $ \mathbb{R}$. $ \square$

Relation d'ordre dans $ \mathbb{R}$ Soit $ x\in\mathcal{C}$ une suite de Cauchy de rationnels, on dira que $ x\in\mathcal{C}^+$ si et seulement si

$\displaystyle (\forall\varepsilon>0, \varepsilon\in\mathbb{Q})\quad (\exists
N_\varepsilon)\quad (n>N_\varepsilon \Longrightarrow x_n>-\varepsilon)$

et que $ x\in\mathcal{C}^-$ si et seulement si

$\displaystyle (\forall\varepsilon>0, \varepsilon\in\mathbb{Q})\quad (\exists
N_\varepsilon)\quad (n>N_\varepsilon \Longrightarrow x_n<\varepsilon).$

Lemme 2   On a

$\displaystyle \mathcal{C}^+\cap\mathcal{C}^-=\mathcal{C}_0\quad {\rm et}\quad \mathcal{C}^+\cup\mathcal{C}^-=\mathcal{C}.$

Démonstration : Soient $ x\in\mathcal{C}^+\cap\mathcal{C}^-$, pour $ \varepsilon$ donné il existe $ N_\varepsilon$ et $ N'_\varepsilon$ tels que si $ n>N_\varepsilon$ et $ n>N'_\varepsilon$ on ait respectivement $ x_n>-\varepsilon$ et $ x_n<\varepsilon$, d'où si $ n>\max(N_\varepsilon,N'_\varepsilon)$ on aura $ \vert x_n\vert<\varepsilon$, c'est-à-dire $ x\in\mathcal{C}_0$.

Soit $ x\in\mathcal{C}$, alors $ x\notin\mathcal{C}^-$ équivaut à

$\displaystyle (\exists\alpha>0, \alpha\in\mathbb{Q})\quad (\forall n\in\mathbb{N})\quad (\exists
p\in\mathbb{N})\quad (p>n {\rm et} x_p\geqslant\alpha).$

Puisque $ x$ est une suite de Cauchy, il existe $ n_0$ tel que si $ n>n_0$ et $ p>n_0$ on a $ \vert x_n-x_p\vert<\frac{\alpha}{2}$. Choisissons $ p>n_0$ tel que $ x_p\geqslant\alpha$, alors pour tout $ n>n_0$ on a $ x_n>\frac{\alpha}{2}>0$ et donc $ x\in\mathcal{C}^+$. $ \square$

Lemme 3   Les assertions suivantes sont satisfaites :
(i)
$ x\in\mathcal{C}^- \Leftrightarrow (-x)\in\mathcal{C}^+$;

(ii)
$ x\in\mathcal{C}^+ {\rm et} y\in\mathcal{C}^+ \Longrightarrow x+y\in\mathcal{C}^+$;

(iii)
$ x\in\mathcal{C}^+ {\rm et} y\in\mathcal{C}^+ \Longrightarrow xy\in\mathcal{C}^+$;

(iv)
Si $ x,x'\in\mathcal{C}$ vérifient $ x-x'\in\mathcal{C}_0$, alors $ x$ et $ x'$ appartiennent toutes deux à $ \mathcal{C}^+$ ou à $ \mathcal{C}^-$.

Démonstration : Les assertions (i) et (ii) sont des conséquences directes de la définition de $ \mathcal{C}^+$. Considérons l'assertion (iii) : si parmi $ x$ et $ y$ l'un est dans $ \mathcal{C}_0$, alors $ xy\in\mathcal{C}_0$ par les propriétés 2) et 3) des suites de rationnels et si $ x$ et $ y$ ne sont pas dans $ \mathcal{C}^-$, pour $ n$ assez grand on a $ x_n>0$ et $ y_n>0$ et donc $ x_ny_n>0$, soit $ xy\in\mathcal{C}^+$, ce qui prouve (iii).

Pour l'assertion (iv) considérons le cas où $ x\in\mathcal{C}^+$, le cas où $ x\in\mathcal{C}^-$ se traite de manière analogue. Si $ x\in\mathcal{C}^+$ et si $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in\mathbb{Q}$ est donné, il existe $ n_1$ tel que $ x_n>-\frac{\varepsilon}{2}$ si $ n>n_1$. Comme $ x-x'\in\mathcal{C}_0$, il existe $ n_2$ tel que si $ n>n_2$ alors $ \vert x_n-x'_n\vert<\frac{\varepsilon}{2}$. Ainsi pour $ n>\max(n_1,n_2)$ on a $ x'_n>x_n-\frac{\varepsilon}{2}>-\varepsilon$, c'est-à-dire $ x'\in\mathcal{C}^+$. $ \square$

L'assertion (iv) du Lemme 3 permet de donner la définition suivante :

Définition 10   Un nombre réel est dit positif (resp. négatif) s'il est représenté par une suite de Cauchy appartenant à $ \mathcal{C}^+$ (resp. $ \mathcal{C}^-$).

On note $ \mathbb{R}^+=\mathcal{C}^+/\mathcal{C}_0$ et $ \mathbb{R}^-=\mathcal{C}^-/\mathcal{C}_0$.

Les Lemmes 2 et 3 permettent de définir une relation d'ordre sur $ \mathbb{R}$ en posant $ a\leqslant b$ si et seulement si $ b-a\in\mathbb{R}^+$. Grâce aux propriétés (i), (ii) et (iii) du Lemme 3, $ (\mathbb{R},\leqslant)$ est un corps totalement ordonné. Notons que l'injection $ \varphi$ de $ \mathbb{Q}$ dans $ \mathbb{R}$ est croissante, puisque $ q\geqslant 0$ dans $ \mathbb{Q}$ équivaut à $ \varphi(q)\in\mathbb{R}^+$.

Théorème 4   $ \mathbb{R}$ est un corps archimédien.

Démonstration : Il suffit de prouver que pour tout $ a\in\mathbb{R}$, il existe $ p\in\mathbb{N}$ tel que $ p>a$ (si $ x,y\in\mathbb{R}$ avec $ x>0$, en posant $ a=\frac{y}{x}$ on aura $ px>y$). Soit $ a=\overline{(a_n)_{n\in\mathbb{N}}}$. La suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ étant de Cauchy, elle est bornée et par conséquent il existe $ M=\frac{m}{q}\in\mathbb{Q}$ tel que $ \vert a_n\vert\leqslant M$ pour tout $ n\in\mathbb{N}$. La suite $ (M-a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est constituée de rationnels positifs, elle est donc dans $ \mathcal{C}^+$, ce qui signifie que le nombre réel M-a est positif. On a donc $ \frac{m}{q}\geqslant a$, d'où $ m\geqslant a$ et $ p=m+1$ convient. $ \square$

Notion de suite de Cauchy et de suite convergente dans $ \mathbb{R}$ Les définitions sont analogues à celles des suites de Cauchy et des suites convergentes dans $ \mathbb{Q}$, mais cette fois on autorise $ \varepsilon$ à appartenir à $ \mathbb{R}$. Comme $ \mathbb{R}$ est archimédien cela n'apporte rien car si $ \varepsilon>0$ est un nombre réel, il existe $ \varepsilon_1\in\mathbb{Q}$ tel que $ 0<\varepsilon_1<\varepsilon$ (il suffit de poser $ \varepsilon_1=\frac{1}{p}$, avec $ p \varepsilon>1$).

Pour prouver que $ \mathbb{R}$ est complet nous avons besoin de quelques lemmes qui ont un intérêt intrinsèque.

Lemme 4   Si $ x$ et $ y$ sont deux éléments de $ \mathbb{R}$ tels que $ x< y$, il existe $ r\in\mathbb{Q}$ tel que $ x<r<y$.

Démonstration : Puisque $ \mathbb{R}$ est archimédien, il existe $ q\in\mathbb{N}$ tel que $ q(y-x)>1$. Soit $ E=\{n\in\mathbb{Z} \vert \frac{n}{q}\leqslant x\}$. Comme $ \mathbb{R}$ est archimédien et $ \frac{1}{q}>0$, il existe $ n_0\in\mathbb{N}$ tel que $ \frac{n_0}{q}\geqslant
\vert x\vert$, par conséquent l'ensemble $ E$ n'est pas vide car il contient $ -n_0$ et il est majoré par $ n_0$; il possède donc un plus grand élément $ p$ qui vérifie

$\displaystyle \frac{p}{q}\leqslant x<\frac{p+1}{q}.$

Posons $ r=\frac{p+1}{q}$, alors $ x<r<x+\frac{1}{q}<y$ par définition de $ q$.$ \square$

Lemme 5   Toute suite de Cauchy de rationnels converge dans $ \mathbb{R}$ vers le nombre réel qu'elle représente.

Démonstration : Soit $ x=(x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de Cauchy dans $ \mathbb{Q}$. Choisissons $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in\mathbb{Q}$, il existe alors $ N_\varepsilon$ tel que si $ p>N_\varepsilon$ et $ q>N_\varepsilon$ on a $ \vert x_p-x_q\vert<\varepsilon$, c'est-à-dire

$\displaystyle x_p-\varepsilon<x_q<x_p+\varepsilon.$

Fixons $ p>N_\varepsilon$, par définition de la relation d'ordre sur $ \mathbb{R}$ on obtient

$\displaystyle x_p-\varepsilon\leqslant\overline x\leqslant x_p+\varepsilon,$

ce qui implique que la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ \overline x$ dans $ \mathbb{R}$.$ \square$

Théorème 5   $ \mathbb{R}$ est complet.

Démonstration : Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de Cauchy dans $ \mathbb{R}$. Nous allons construire une suite $ y=(y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ de rationnels assez «proche» de la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ pour qu'elle soit encore de Cauchy et nous montrerons que la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ \overline y$ dans $ \mathbb{R}$.

Construction de la suite $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$

Pour tout $ n\in\mathbb{N}^*$, il résulte du Lemme 4 qu'il existe $ y_n\in\mathbb{Q}$ tel que

$\displaystyle x_n-\frac{1}{n}<y_n<x_n+\frac{1}{n}.$

Pour $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in\mathbb{Q}$ donné, il existe $ n_\varepsilon$ tel que si $ p>n_\varepsilon$ et $ q>n_\varepsilon$ on a $ \vert x_p-x_q\vert<\frac{\varepsilon}{3}$ et donc

$\displaystyle \vert y_p-y_q\vert$ $\displaystyle <\vert y_p-x_p\vert+\vert x_p-x_q\vert+\vert x_q-y_q\vert$    
  $\displaystyle <\frac{1}{p}+\frac{1}{q}+\vert x_p-x_q\vert$    
  $\displaystyle <\frac{1}{p}+\frac{1}{q}+\frac{3}{\varepsilon}.$    

Posons $ m_\varepsilon=\max(n_\varepsilon,\frac{3}{\varepsilon})$, alors si $ p>m_\varepsilon$ et $ q>m_\varepsilon$ on a $ \vert y_p-y_q\vert<\varepsilon$. La suite $ (y_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est donc de Cauchy dans $ \mathbb{Q}$.

Convergence de la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$

Il résulte de la démonstration du Lemme 5 que $ \vert\overline
y-y_p\vert<\varepsilon$ si $ p>m_\varepsilon$, d'où

$\displaystyle \vert\overline y-x_p\vert<\varepsilon+\frac{1}{p}<\frac{4\varepsilon}{3}$

et la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge donc vers $ \overline y$.$ \square$ Représentation décimale d'un nombre réel L'objet de ce paragraphe est de prouver que, pour tout $ x\in\mathbb{R}$, il existe une unique suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ d'éléments de $ \mathbb{Z}$ tels que, pour tout $ n\in\mathbb{N}^*$, $ 0\leqslant x_n\leqslant 9$ et pour tout $ N\in\mathbb{N}$ il existe $ n\geqslant N$ tel que $ x_n\neq 9$ et $ x=\lim_{n\to\infty}\sum_{k=0}^n x_k 10^{-k}$. La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est unique. La suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ s'appelle un développement décimal propre de $ x$ et il est d'usage de le noter

$\displaystyle x_0,x_1x_2\dots x_n\dots$

Lemme 6   Pour tout $ \varepsilon>0$ et tout $ x\in\mathbb{R}$, il existe un unique entier $ p\in\mathbb{Z}$ tel que

$\displaystyle p\varepsilon\leqslant x<(p+1)\varepsilon.$

Démonstration : Comme $ \mathbb{R}$ est archimédien, il existe $ n\in\mathbb{N}$ tel que $ n\varepsilon\geqslant \vert x\vert$, i.e. $ -n\varepsilon\leqslant x\leqslant
n\varepsilon$, donc l'ensemble $ P$ des entiers relatifs tels que $ p\varepsilon\leqslant x$ est non vide ($ -n\in P$) et majoré par $ n$, il admet donc un plus grand élément $ p$ qui vérifie bien sûr

$\displaystyle p\varepsilon\leqslant x<(p+1)\varepsilon.$

Si $ p'$ vérifiait également $ p'\varepsilon\leqslant
x<(p'+1)\varepsilon$, on aurait $ p'\varepsilon<(p+1)\varepsilon$ et $ p\varepsilon<(p'+1)\varepsilon$, d'où $ p'<p+1$ et $ p<p'+1$ puisque $ \varepsilon\neq 0$, soit $ p=p'$. $ \square$

Lorsque $ \varepsilon=1$, l'entier $ p$ du Lemme 6 s'appelle la partie entière de $ x$ et est habituellement noté $ \lfloor x\rfloor$. On appelle partie décimale de $ x$ la différence $ x-\lfloor x\rfloor$. On la note $ D(x)$, elle appartient à l'intervalle $ [0,1[$.

Soit $ d\in\mathbb{N}$, $ d\geqslant 2$, prenons $ \varepsilon=d^{-n}$. Si $ x\in\mathbb{R}$, d'après le Lemme 6, il existe un unique $ p_n\in\mathbb{Z}$ tel que

$\displaystyle p_nd^{-n}\leqslant x<(p_n+1)d^{-n}.$

Le nombre rationnel $ \zeta_n=p_nd^{-n}$ s'appelle la valeur approchée par défaut de $ x$ à $ d^{-n}$ près.

En remplaçant $ n$ par $ n+1$, on obtient $ p_{n+1}$ qui vérifie

$\displaystyle p_nd^{-n}<(p_{n+1}+1)d^{-n-1}\quad{\rm et}\quad p_{n+1}d^{-n-1}<(p_n+1)d^{-n},$

d'où $ dp_n\leqslant p_{n+1}<d(p_n+1)$. On peut alors définir par récurrence une unique suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ telle que $ x_0=p_0\in\mathbb{Z}$ et $ p_n=\sum_{k=0}^nx_kd^{n-k}$ avec $ 0\leqslant x_k\leqslant d-1$ si $ k\geqslant 1$. La valeur approchée par défaut de $ x$ à $ d^{-n}$ près est alors donnée par

$\displaystyle \zeta_n=\sum_{k=0}^nx_kd^{-k}.$

Remarquons que, puisque $ d\geqslant 2$, $ d^n\geqslant
1+n(d-1)\geqslant 1+n$ par la formule du binôme de Newton donc $ \lim_{n\to\infty} d^{-n}=0$. La suite $ (\zeta_n)_{n\in\mathbb{N}}$ des valeurs approchées vérifie $ \vert x-\zeta_n\vert<d^{-n}$ et converge donc vers $ x$ quand $ n$ tend vers l'infini.

Lorsque $ d=10$ la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ s'appelle un développement décimal illimité de $ x$ et on écrit

$\displaystyle \zeta_n=x_0,x_1\dots x_n.$

On dira que le développement décimal est propre si, pour tout $ N\in\mathbb{N}$, il existe $ n\geqslant N$ tel que $ x_n\neq 9$. Les développements obtenus par la méthode développée ici sont toujours propres. En effet si $ x_n=9$ pour tout $ n>p$, on aurait

$\displaystyle \zeta_n-\zeta_p=9\sum_{k=p+1}^n 10^{-k}=10^{-p}-10^{-n}$

et $ \zeta=\zeta_n+10^{-n}=\zeta_p+10^{-p}$ pour tout $ n>p$, mais

$\displaystyle \zeta-10^{-n}=\zeta_n\leqslant x<\zeta_n+10^{-n}=\zeta$

par définition de $ \zeta_n$, soit $ 0<10^n(\zeta-x)\leqslant 1$ pour tout $ n>p$ ce qui est impossible puisque $ \mathbb{R}$ est archimédien.

Nous venons donc de prouver que tout nombre réel $ x$ possède un unique développement décimal illimité propre. Si on note $ \mathcal{D}$ l'ensemble des suites $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ d'entiers relatifs telles que pour tout $ n\in\mathbb{N}$, $ 0\leqslant x_n\leqslant 9$ et pour tout $ N\in\mathbb{N}$ il existe $ n\geqslant N$ tel que $ x_n\neq 9$, nous avons donc défini une application $ \delta : \mathbb{R}\to\mathcal{D}$ qui a chaque nombre réel $ x$ associe son développement décimal illimité propre.

Proposition 22   L'application $ \delta$ de $ \mathbb{R}$ dans $ \mathcal{D}$ qui a chaque nombre réel $ x$ associe son développement décimal illimité propre $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est une bijection et pour tout $ x\in\mathbb{R}$ on a

$\displaystyle x=\lim_{n\to\infty}\sum_{k=0}^n x_k 10^{-k}.$ (10)

Démonstration : L'existence de l'application $ \delta$ et la formule (10) résultent de ce qui précède. Il reste à prouver que $ \delta$ est une bijection. Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ un élément de $ \mathcal{D}$, cherchons $ x\in\mathbb{R}$ tel que $ \delta(x)=(x_n)_{n\in\mathbb{N}}$. Remarquons que la suite de rationnels $ (\zeta_n)_{n\in\mathbb{N}}$ définie par $ \zeta_n=\sum_{k=0}^n x_k 10^{-k}$ est croissante et de Cauchy. En effet $ \zeta_{n+1}-\zeta_n=x_{n+1}10^{-n-1}\geqslant 0$ et si $ n<m$

$\displaystyle 0\leqslant \zeta_m-\zeta_n=\sum_{k=n+1}^m x_k 10^{-k}\leqslant9\sum_{k=n+1}^m
10^{-k}=10^{-n}-10^{-m}<10^{-n}.$

La suite de rationnels $ (\zeta_n)_{n\in\mathbb{N}}$ définit donc un nombre réel $ x$. De plus si on pose $ p_n=10^n\zeta_n$, $ p_n\in\mathbb{Z}$ et $ p_n10^{-n}\leqslant x<(p_n+1)10^{-n}$, et par conséquent $ \delta(x)=(x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ par construction de $ \delta$.

Notons $ \varphi$ l'application de $ \mathcal{D}$ dans $ \mathbb{R}$ qui à la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ associe le nombre réel $ x$ défini par la suite $ (\zeta_n)_{n\in\mathbb{N}}$, il est clair que $ \delta\circ\varphi$ et $ \varphi\circ\delta$ sont respectivement l'application identique de $ \mathcal{D}$ et celle de $ \mathbb{R}$, ce qui prouve que $ \delta$ est bijective et que $ \delta^{-1}=\varphi$. $ \square$

La proposition suivante permet de caractériser nombres rationnels par leurs développements décimaux.

Proposition 23   L'ensemble $ \mathbb{Q}$ des nombres rationnels correspond au sous-ensemble des nombres réels dont le développement décimal est périodique.

Démonstration : Soit $ x\in\mathbb{R}$ un nombre réel dont le développement décimal est périodique,i.e.

$\displaystyle x=x_0,x_1\dots x_py_1\dots y_qy_1\dots y_q\dots$

Alors

$\displaystyle x$ $\displaystyle =\sum_{k=0}^p x_k 10^{-k}+\frac{\sum_{k=1}^q y_k 10^{-k}}{10^{p+q}}(\sum_{k=0}^\infty 10^{-kq})$    
  $\displaystyle =\sum_{k=0}^p x_k 10^{-k}+\frac{\sum_{k=1}^q y_k 10^{-k}}{10^{p+q}}\frac{1}{10^{-q}-1}$    

et par conséquent $ x\in\mathbb{Q}$.

Réciproquement soit $ x=\frac{p}{q}\in\mathbb{Q}$ avec $ p$ et $ q$ des entiers premiers entre eux. On définit par récurrence une suite d'entiers $ r_n$, $ n\geqslant 1$, tels que $ 0\leqslant r_n<q$ en considérant les restes des divisions euclidiennes successives de $ p$ par $ q$, puis de $ 10 r_1$ par $ q$ et ainsi de suite. En notant $ x_{n-1}$ les différents quotients on aura

$\displaystyle x=\frac{p}{q}=x_0+10^{-1}x_1+10^{-2}x_2+\dots+10^{-n}x_n+r_{n+1}\frac{10^{-n}}{q}.$

La suite $ (r_n)_{n\in\mathbb{N}}$ prenant ses valeurs dans un ensemble fini à $ q$ éléments, les nombres $ r_1,\dots,r_{n+1}$ ne peuvent pas être deux à deux distincts. Si $ r_i=r_j$ pour $ 1\leqslant i<j\leqslant
q+1$, la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ vérifie $ x_p=x_{p+k(j-i+1)}$ pour $ p\geqslant i$ et $ k\in\mathbb{N}$, elle est donc périodique.

De plus $ x_0,x_1\dots x_n\dots$ est le développement décimal de $ x$ car

$\displaystyle \zeta_n=\sum_{k=0}^n x_k 10^{-k}\leqslant x\leqslant
\zeta_n+\frac{r_{n+1}}{q}10^{-n}<\zeta_n+10^{-n}$

puisque $ r_{n+1}<q$.$ \square$

Grâce aux développement décimaux on peut montrer que $ \mathbb{R}$, qui contient $ \mathbb{Q}$, est en fait beaucoup plus gros que $ \mathbb{Q}$.

Proposition 24   L'ensemble $ \mathbb{R}$ n'est pas dénombrable.

Démonstration : Nous allons démontrer que l'intervalle $ [0,1]\subset\mathbb{R}$ n'est pas dénombrable. Il suffit de prouver que pour tout sous-ensemble dénombrable $ D$ de $ [0,1]$ on peut construire un élément de $ [0,1]$ qui n'est pas dans $ D$.

Soit $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$ une suite de nombres réels contenus dans l'intervalle $ [0,1]$. Chaque terme de cette suite possède un développement décimal illimité propre

$\displaystyle x_n = 0, x_{n_1} x_{n_2}\dots
x_{n_p}\dots $

On construit maintenant un nombre réel y dans [0,1] en considérant le n-ième chiffre après la virgule de $ x_n$. On définit le nombre réel $ y$ par son développement décimal propre : $ y=0,y_1y_2\dots y_p\dots$ où si la n-ième décimale de $ x_n$ est différente de 1, alors $ y_n=1$, sinon $ y_n=2$. Le nombre $ y$ est clairement dans l'intervalle [0, 1] mais ne peut pas apparaître dans la suite $ (x_n)_{n\in\mathbb{N}}$, car il ne peut être égal à aucun des $ x_n$ puisque pour tout $ n$ sa n-ième décimale est différente de la n-ième décimale de $ x_n$. $ \square$

Définitions axiomatiques de $ \mathbb{R}$ Le corps $ \mathbb{R}$ contenant $ \mathbb{Q}$ que nous avons construit est un corps commutatif archimédien et complet. Nous allons montrer qu'un tel corps est unique à isomorphisme près.

Notons que si $ K$ est un corps commutatif totalement ordonné on peut définir, comme nous l'avons fait pour le corps $ \mathbb{Q}$, les notions de suites convergentes et de suites de Cauchy et que les propriétés 1) à 6) restent encore valables.

Théorème 6   Si $ K$ est un corps commutatif archimédien et complet, alors il existe un isomorphisme de $ \mathbb{R}$ sur $ K$ prolongeant l'identité de $ \mathbb{Q}$ (quand on identifie $ \mathbb{Q}$ au sous-corps de $ K$ formé des éléments $ \frac{p}{q}e=(pe)(qe)^{-1}$, où $ e$ est l'élément unité de $ K$).

Démonstration : Définissons une application $ f:\mathbb{R}\to K$ par : si $ a\in\mathbb{R}$ est la classe d'une suite de Cauchy de rationnels $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ alors, on pose, $ f(a)=\lim_{n\to\infty} a_ne$ (cette limite existe puisque $ K$ est complet et ne dépend pas du choix du représentant $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$). Par construction, $ f$ est un morphisme d'anneau strictement croissant. Enfin, $ f$ est surjective, grâce au fait que $ K$ est archimédien : pour tout $ b\in K$, $ b\geqslant 0$ et tout entier $ n
> 0$, il existe un rationnel $ a_ne$ compris entre $ b$ et $ b + 1 / n$ et $ a_n = \frac{p}{n}$, où $ p$ est le plus petit entier majorant $ nb$. Une telle suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est de Cauchy, et sa classe $ a\in\mathbb{R}$ est un antécédent de $ b$ par $ f$. $ \square$

L'unicité à isomorphisme près de $ \mathbb{R}$ a plusieurs conséquences. D'une part $ \mathbb{R}$ est indépendant du choix de son mode de construction, nous avons privilégié ici une construction à partir des suites de Cauchy (c'est une méthode classique que l'on retrouve en topologie pour construire le complété d'un espace vectoriel topologique), d'autres constructions sont possibles à l'aide des coupures de Dedekind ou à l'aide des développements décimaux. D'autre part cela permet de donner une définition axiomatique de $ \mathbb{R}$ comme étant le seul corps commutatif archimédien et complet.

Prouvons pour terminer que $ \mathbb{R}$ est le seul corps commutatif totalement ordonné tel que toute partie non vide majorée admet une borne supérieure, ce qui donne une autre définition axiomatique de $ \mathbb{R}$.

Proposition 25   Soit $ K$ un corps commutatif totalement ordonné tel que toute partie non vide majorée admet une borne supérieure, alors $ K$ est archimédien et complet.

Démonstration : Prouvons que $ K$ est archimédien. Soient $ a$, $ b$ deux éléments de $ K$, on suppose $ a>0$. On cherche un entier $ n$ tel que $ na>b$. Si $ b\leqslant 0$, $ n=1$ convient. Si $ b>0$, on considère l'ensemble $ A = \{ka \vert k \in\mathbb{N}, ka \leqslant b\}$. Cet ensemble est non vide (il contient 0) et majoré par $ b$, donc il possède une borne supérieure $ c$. L'élément $ c-a$ est strictement inférieur à $ c$, par conséquent ce n'est pas un majorant de $ A$. Il existe donc un élément $ ka$ de $ A$ tel que $ c-a<ka$. Mais $ c<(k+1)a$ donc $ (k+1)a$ n'appartient pas à $ A$, si bien que $ (k+1)a>b$.

Montrons maintenant que $ K$ est complet. Soit $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$, une suite de Cauchy dans $ K$, nous devons prouver que $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge. La suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est bornée, il existe donc un élément $ M$ de $ K$ tel que pour tout entier $ n$, $ \vert a_n\vert\leqslant M$.

Pour tout $ n$, l'ensemble $ A_n = \{a_m \vert  m \geqslant n\}$ est majoré par $ M$ et non vide, il possède donc une borne supérieure $ b_n$. La suite $ (-b_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est alors croissante et majorée par $ M$. Soit $ b=\sup\{-b_n \vert n\in\mathbb{N}\}$. Par définition de la borne supérieure, pour tout $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in K$, il existe $ N$ tel que $ b-\varepsilon<-b_N\leqslant b$ et, puisque la suite $ (-b_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est croissante, pour tout $ n>N$ on a $ b-\varepsilon<-b_n\leqslant b$, soit $ -b\leqslant b_n<-b+\varepsilon$ et la suite $ (b_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge donc vers $ a=-b$.

La suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ étant de Cauchy pour tout $ \varepsilon>0$ dans $ K$, il existe $ \widetilde{N}$ tel que pour tous $ p,q\in\mathbb{N}$

$\displaystyle p,q\geqslant \widetilde{N} \Longrightarrow a_p < a_q +
\frac{\varepsilon}{2}.$

Posons $ N'=\max(N,\widetilde{N})$. Pour tout $ n\geqslant N'$, $ a_n + \frac{\varepsilon}{2}$ est alors un majorant de $ A_{N'}$, donc un majorant de $ b_{N'}$, si bien que

$\displaystyle a-\varepsilon<b_N-\varepsilon/2\le a_n\leqslant b_N<a+\varepsilon.$

Ce qui montre que la suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers $ a$.$ \square$

Pour prouver la réciproque de la Proposition 25, nous allons introduire la notion d'ensembles adjacents dans un corps commutatif $ K$ totalement ordonné.

Définition 11   Soient $ A$ et $ B$ deux parties non vides de $ K$, on dit que $ (A,B)$ est un couple d'ensembles adjacents si et seulement si

(i) Pour tout $ (a,b)\in A\times B$, $ a\leqslant b$;

(ii) Pour tout $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in K$, il existe $ (a,b)\in A\times B$ tel que $ b-a\leqslant\varepsilon$.

Lemme 7   Si le corps $ K$ est archimédien et complet et si $ (A,B)$ est un couple d'ensembles adjacents de $ K$, il existe un unique élément $ c\in K$ tel que pour tout $ (a,b)\in A\times B$, $ a\leqslant c\leqslant b$.

Démonstration : Par définition des ensembles adjacents, pour tout $ n\in\mathbb{N}$, il existe $ (a_n,b_n)\in A\times B$ tel que $ b_n-a_n\leqslant\frac{1}{n+1}$ Nous allons prouver que la suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est une suite de Cauchy dans $ K$.

Grâce au (i) de la définition des ensembles adjacents on a $ a_n\leqslant
b_p$ pour tous $ n,p\in\mathbb{N}$, par conséquent

$\displaystyle a_n-a_p$ $\displaystyle \leqslant b_p-a_p\leqslant \frac{1}{p+1}$    
$\displaystyle a_p-a_n$ $\displaystyle \leqslant b_n-a_n\leqslant \frac{1}{n+1}$    

et donc

$\displaystyle \vert a_n-a_p\vert\leqslant\max(\frac{1}{n+1},\frac{1}{p+1}).$

Soit $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in K$, le corps $ K$ étant archimédien, il existe $ N\in\mathbb{N}$ tel que $ \frac{1}{N+1}<\varepsilon$. Alors pour $ n, p>N$ on a $ \vert a_n-a_p\vert\leqslant\varepsilon$ et la suite $ (a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ est de Cauchy dans $ K$. Puisque $ K$ est complet, elle converge vers une limite $ c$.

De plus par définition de $ a_n$ et $ b_n$, la suite $ (b_n-a_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge vers 0. On en déduit que la suite $ (b_n)_{n\in\mathbb{N}}$ converge également vers $ c$. Par ailleurs, si $ b\in B$, on a, pour tout $ n\in\mathbb{N}$, $ a_n\leqslant b$ et par passage à la limite $ c\leqslant b$. De manière analogue on a $ a\leqslant c$ pour tout $ a\in A$.

Vérifions maintenant que $ c$ est unique. Supposons qu'il existe $ c$ et $ c'$ tels que pour tout $ (a,b)\in A\times B$

$\displaystyle a\leqslant c<c'\leqslant b.$

Alors pour tout $ (a,b)\in A\times B$, on a $ b-a\geqslant c'-c$, ce qui contredit la propriété (ii) de la définition des ensembles adjacents. $ \square$

Proposition 26   Soit $ K$ un corps commutatif archimédien et complet contenant $ \mathbb{Q}$, alors $ K$ est totalement ordonné et toute partie non vide majorée de $ K$ admet une borne supérieure.

Démonstration : Soit $ A$ une partie non vide majorée de $ K$, notons $ B$ l'ensemble des majorants de $ A$. Nous allons prouver que $ (A,B)$ est un couple d'ensembles adjacents de $ K$. Remarquons tout d'abord que $ B$ est non vide (puisque $ A$ est majorée) et pour tout $ (a,b)\in A\times B$, $ a\leqslant b$. Soit $ \varepsilon>0$, $ \varepsilon\in K$. Fixons $ b_0\in B$ et posons

$\displaystyle I=\{n\in\mathbb{N} \vert b_0-n\varepsilon\in B\}.$

L'ensemble $ I$ n'est pas vide car $ 0\in I$ et il est majoré. En effet soit $ a_0\in A$ ($ A$ est non vide), pour tout $ n\in I$ on a $ a_0\leqslant
b_0-n\varepsilon$ et donc $ n\leqslant\frac{b_0-a_0}{\varepsilon}$. L'ensemble $ I$ possède donc un plus grand élément $ n_0$. Posons $ b=b_0-n\varepsilon$, alors $ b\in B$ et $ b-\varepsilon\notin B$, il existe donc $ a\in A$ tel que $ b-\varepsilon<a$, soit $ b-a<\varepsilon$. Le couple $ (A,B)$ est donc adjacent.

D'après le lemme 7, il existe $ M\in K$ tel que pour tout $ (a,b)\in A\times B$, $ a\leqslant M\leqslant b$. $ M$ est alors le plus petit majorant de $ A$ donc sa borne supérieure. $ \square$


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