Construction des rationnels

Il reste dans $ \mathbb{Z}$ des équations sans solution, comme $ a=b\times x$ pour $ b\neq
0$, dont la solution en $ x$ devrait être le produit de $ a$ par un inverse de $ b$ pour la multiplication. Or dans $ \mathbb{Z}\setminus\{0\}$ seuls $ +1$ et $ -1$ ont un inverse. L'idée est alors de reproduire pour la multiplication dans $ \mathbb{Z}\setminus\{0\}$ la procédure utilisée pour l'addition dans $ \mathbb{N}$ afin de construire un groupe multiplicatif $ \mathbb{Q}^*$ contenant $ \mathbb{Z}\setminus\{0\}$. La structure d'anneau de $ \mathbb{Z}$ sera alors prolongée à ce nouvel ensemble, faisant de $ (\mathbb{Q},+,\times)$ un corps.

Dans l'ensemble $ \mathbb{Z}^*=\mathbb{Z}\setminus\{0\}$ la loi de composition interne $ \times$ possède les mêmes propriétés que l'addition dans $ \mathbb{N}$, on peut donc appliquer la même procédure que dans la section 1.3 pour construire un nouvel ensemble de nombres noté $ \mathbb{Q}$ contenant $ \mathbb{Z}$ et tel que $ \mathbb{Q}\setminus\{0\}$ possède une structure de groupe multiplicatif.

Considérons sur $ \mathbb{Z}^*\times\mathbb{Z}^*$, la relation $ \mathcal{R}$ définie par

$\displaystyle (a,b)\mathcal{R} (a',b')\;\Longleftrightarrow\; a\times b'=a'\times b.$ (7)

C'est une relation d'équivalence compatible avec la multiplication sur $ \mathbb{Z}^*\times\mathbb{Z}^*$. La démonstration de cette assertion est analogue à celle de la Proposition 11 .

On notera $ \frac{a}{b}$ la classe du couple $ (a,b)$ pour la relation $ \mathcal{R}$. On remarquera que pour tout $ c\in\mathbb{Z}^*$, on a $ \frac{a}{b}=\frac{a\times c}{b\times c}$.

Proposition 15   L'ensemble quotient $ \mathbb{Z}^*\times\mathbb{Z}^*/\mathcal{R}$ munit de la loi quotient déduite de la multiplication sur $ \mathbb{Z}^*\times\mathbb{Z}^*$, notée encore $ \times$, est un groupe abélien, on le note $ \mathbb{Q}^*$.

L'élément neutre ce groupe est la classe du couple $ (1,1)$. Un élément $ (a,b)$ de $ \mathbb{Z}^*\times\mathbb{Z}^*/\mathcal{R}$ appartient à $ \frac{1}{1}$ si et seulement si $ a\times 1=1\times b$, c'est-à-dire $ a=b$. L'inverse de $ \frac{a}{b}$ est $ \frac{b}{a}$.

La démonstration de la proposition est analogue à celle de la Proposition 12.

Proposition 16   On définit un morphisme injectif $ f : \mathbb{Z}^*\to\mathbb{Q}^*$ en posant $ f(a)=\frac{a}{1}$

Démonstration : Vérifions que l'application $ f : \mathbb{Z}^*\to\mathbb{Q}^*$ définie par $ f(a)=\frac{a}{1}$ est multiplicative. Soient $ a$ et $ b$ dans $ \mathbb{Z}^*$, alors

$\displaystyle f(a\times b)=\frac{a\times b}{1}=\frac{a}{1}\times
\frac{b}{1}=f(a)\times f(b)$

par définition de la multiplication dans $ \mathbb{Q}^*$. Montrons maintenant que $ f$ est injective. Soient $ a$ et $ b$ dans $ \mathbb{Z}^*$ tels que $ f(a)=f(b)$, c'est-à-dire $ \frac{a}{1}=\frac{b}{1}$. Par définition de la relation $ \mathcal{R}$ cela signifie que $ a\times 1=b\times 1$, soit $ a=b$, d'où l'injectivité de l'application $ f$. $ \square$

Pour simplifier les écritures, on notera $ a$ à la place de $ \frac{a}{1}$ l'élément $ f(a)$ si $ a\in\mathbb{Z}^*$. On écrira souvent $ ab$ à la place de $ a\times b$ pour le produit de deux éléments de $ \mathbb{Z}^*$.

En raison de la structure de groupe multiplicatif de $ \mathbb{Q}^*$, si $ a\in\mathbb{Z}^*$ et $ b\in\mathbb{Z}^*$, l'équation $ a=b\times x$ possède toujours une unique solution : l'élément $ \frac{a}{b}$ de $ \mathbb{Q}^*$. De plus si $ a=0$ et $ b\in\mathbb{Z}^*$, l'élément 0 de $ \mathbb{Z}$ est l'unique solution de $ a=b\times x$, car $ \mathbb{Z}$ est un anneau intègre.

Définition 6   On appelle ensemble des nombres rationnels l'ensemble $ \mathbb{Q}^*$ auquel on a ajouté l'élément 0 de $ \mathbb{Z}$. On le note $ \mathbb{Q}$.

Pour compléter la structure algébrique de $ \mathbb{Q}$ nous allons prolonger à $ \mathbb{Q}$ la structure de groupe additif de $ \mathbb{Z}$. Soient $ x=\frac{a}{b}$ et $ y=\frac{c}{d}$ deux éléments de $ \mathbb{Q}$, on pose

$\displaystyle x+y=\frac{ad+bc}{bd}.$

Vérifions que cette définition a bien un sens en remarquant qu'elle est indépendante des représentants choisis. Nous devons prouver que si $ (a,b)\mathcal{R} (a',b')$ et $ (c,d)\mathcal{R}
(c',d')$ alors $ (ad+bc,bd)\mathcal{R}(a'd'+b'c',b'd')$. Supposons que $ ab'=a'b$ et $ cd'=c'd$, alors

$\displaystyle (ad+bc)b'd'$ $\displaystyle =(ab')dd'+(cd')bb'$    
  $\displaystyle =(a'b)dd'+(c'd)bb'$    
  $\displaystyle =(a'd'+c'd')bd,$    

c'est-à-dire $ (ad+bc,bd)\mathcal{R}(a'd'+b'c',b'd')$.

Par un calcul direct, il résulte immédiatement des propriétés de l'addition et de la multiplication dans $ \mathbb{Z}$ que l'addition est associative, commutative et que la multiplication est distributive par rapport à l'addition. Notons que $ 0=\frac{0}{1}$ vérifie :

$\displaystyle \frac{a}{b}+0=0+\frac{a}{b}=\frac{a\times 1+0\times b}{b\times
1}=\frac{a}{b}\;,$

c'est donc un élément neutre pour l'addition. De plus si $ x=\frac{a}{b}$, posons $ -x=\frac{-a}{b}=(-1)\times x$, alors

$\displaystyle x+(-x)=\frac{ab+(-a)b}{bb}=\frac{ab-ab}{bb}=\frac{0}{bb}=0\;.$

Tout élément $ x$ de $ \mathbb{Q}$ possède un inverse pour l'addition et $ (\mathbb{Q},+)$ est donc un groupe abélien.

L'ensemble $ \mathbb{Q}$ ainsi construit muni des lois $ +$ et $ \times$ possède une structure de corps.

Si $ x$ et $ y$ sont dans $ \mathbb{Z}$, on identifie $ x$ avec $ \frac{x}{1}$ et $ y$ avec $ \frac{y}{1}$, alors

$\displaystyle x+y=\frac{x\times 1+1\times y}{1\times 1}=\frac{x+y}{1}\;,$

après identification. La loi $ +$ prolonge donc l'addition sur $ \mathbb{Z}$ et $ (\mathbb{Z},+,\times)$ est un sous anneau de $ \mathbb{Q}$.

Proposition 17   L'ensemble $ \mathbb{Q}$ est dénombrable.

Démonstration : L'ensemble $ \mathbb{Q}$ s'injecte dans le produit cartésien $ \mathbb{Z}\times\mathbb{N}$ et contient $ \mathbb{N}$. Il suffit donc de prouver que $ \mathbb{Z}\times\mathbb{N}$ est dénombrable, mais comme $ \mathbb{Z}$ est dénombrable on est ramené à prouver que $ \mathbb{N}\times\mathbb{N}$ est dénombrable. L'application $ f:\mathbb{N}\times\mathbb{N}\to\mathbb{N}$ définie par

$\displaystyle f(p,q)=q+\sum_{i=0}^{p+q}i=\frac{(p+q)(p+q+1)}{2}+q\;,$

qui consiste à compter diagonalement les couples $ (p,q)$ donne la bijection cherchée. $ \square$

Relation d'ordre dans $ \mathbb{Q}$

Pour terminer nous allons étendre à $ \mathbb{Q}$ la relation d'ordre de $ \mathbb{Z}$. Rappelons que si $ x$ et $ y$ sont deux éléments de $ \mathbb{Z}$ alors $ x\leqslant y$ si et seulement si $ y-x\in\mathbb{N}$ soit $ 0\leqslant y-x$. Pour commencer nous allons définir la notion de nombre rationnel positif. Si $ \frac{a}{b}\in\mathbb{Q}$, nous dirons que $ 0\leqslant
\frac{a}{b}$ si et seulement si $ 0\leqslant a\times b$. Cette définition ne dépend pas du représentant choisi. En effet si $ \frac{a}{b}=\frac{a'}{b'}$, c'est-à-dire si $ a\times b'=a'\times b$, alors $ (a\times b)\times (b'\times b')=(a'\times b')\times (b\times
b)$ et puisque $ b\times b$ et $ b'\times b'$ sont tous deux positifs et non nuls comme produits de nombres entiers de même signe, $ a\times b$ et $ a'\times b'$ ont le même signe.

Avec cette définition, les éléments de $ \mathbb{Z}$ positifs au sens de $ \mathbb{Q}$ sont exactement les éléments positifs de $ \mathbb{Z}$, c'est-à-dire les éléments de $ \mathbb{N}$. Par analogie avec la relation d'ordre dans $ \mathbb{Z}$, si $ x$ et $ y$ sont deux éléments de $ \mathbb{Q}$, nous posons $ x\leqslant y$ si et seulement si $ 0\leqslant y-x$. Cette relation est une relation d'ordre qui prolonge la relation d'ordre de $ \mathbb{Z}$.

La relation d'ordre $ \leqslant$ est compatible avec l'addition et la multiplication sur $ \mathbb{Q}$ au sens suivant : soient $ x$, $ y$ et $ z$ trois éléments de $ \mathbb{Q}$

$ \bullet$ si $ x\leqslant y$, alors $ x+z\leqslant y+z$ puisque $ y-x=(y+z)-(x+z)$,

$ \bullet$ si $ x\leqslant y$ et $ 0\leqslant z$, alors $ x\times z\leqslant y\times z$ puisque $ (y\times z)-(x\times z)=(y-x)\times z$ et en particulier si $ x=0$ on obtient que, si $ 0\leqslant y$ et $ 0\leqslant z$, alors $ 0\leqslant y\times
z$.

On écrira de manière équivalente :

$ x\leqslant y$ ou $ y\geqslant x$,

$ x\leqslant y, x\neq y$ ou $ x< y$ ou $ y>x$.

Dans la suite nous utiliserons la notation suivante : si $ x\in\mathbb{Q}$, on pose $ \vert x\vert=\max(x,-x)$. On a bien sûr $ \vert x\vert=x$, si $ x\geqslant 0$, et $ \vert x\vert=-x$, si $ x\leqslant
0$.


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