Evaluation des déficiences et incapacités dans la profession des remontées mécaniques   à partir d’une étude épidémiologique conduite chez 3910 salariés.

R de Gaudemaris1, M Jalbert1, B Barnavol1, JL Flores2, P Artières3, E Isnard4.

1 : Laboratoire de médecine du travail et toxicologie, Université de Grenoble, Domaine de la Merci. 38700 La Tronche.

2 : Laboratoire d’Ergonomie de Lyon. Université Claude Bernard, 43 Bd du 11 novembre, 69622 Villeurbanne Cedex

3 : ASMI de Sallanches, 780 avenue André Lasquin, BP 26, 74701 Sallanches Cedex

4 : CHI de l’Ain, rue des Chartinières, 01120 Dagneux

Les professionnels des remontées mécaniques sont soumis à forte contrainte cardio-vasculaire : efforts physiques importants en altitude (déneigement, montée sur pylônes et autres déplacements), effectués parfois dans des conditions climatiques difficiles (9, 12) . L’appareil ostéo-articulaire est tout aussi largement sollicité : travail sur pylône, en position statique difficile, interventions à faire en urgence (pannes en cours d’exploitation) (13).

L’évolution globale, dans la profession, se traduit par un déplacement progressif de la pyramide des âges (peu d’embauche) se traduisant par un nombre croissant de salariés de plus de 40 ans voire 50 ans et par une tendance à la fidélisation des salariés à leur poste de travail et à leur station (qualifications de plus en plus poussées exigées, incertitude de l’emploi).

Une approche multidisciplinaire clinique, ergonomique et épidémiologique a été entreprise ces dernières années afin de quantifier les exigences physiologiques puis identifier les problèmes de santé spécifiques et enfin proposer une politique de prévention adaptée au problème posé.

Une première étape a montré que, si l’astreinte cardio-vasculaire moyenne sur 8h de travail (approchée par la mesure de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque en activité) était de niveau moyen, il existait des phases de travail de courte durée nécessitant un effort cardio-vasculaire majeur (montée sur pylône, travail en position acrobatique, essais en charge..) (12).

L’effet de sélection par le type et la pénibilité du travail ainsi que la très bonne aptitude cardio-vasculaire mesurée chez les salariés en activité (plus de 200w en test d’effort triangulaire sur bicyclette ergométrique) expliquent le faible nombre de problèmes d’aptitude rencontrés actuellement. Cette sélection contribue à retarder voire occulter la mise en évidence d’un vieillissement différentiel comme il a été déjà rapporté dans d’autres groupes professionnels (3, 4).

Qu’en sera t-il ultérieurement quand l’incidence des maladies cardio-vasculaires et des séquelles ostéo-articulaires sera plus importante  (7, 8, 15) ? Les contraintes spécifiques du travail dans les remontées mécaniques associées au vieillissement des salariés vont poser rapidement des problèmes d'aptitude et de reclassement dans cette profession où les postes protégés ne sont pas nombreux.
 

Objectif :
L’étude épidémiologique présentée, deuxième étape de travail du groupe multidisciplinaire, a pour objectif d’analyser, dans un échantillon représentatif de salariés, quelles sont les déficiences médicalement observées et surtout, en fonction des activités de travail, quelles sont les incapacités qui en résultent. Cette approche, selon de concept déficience, incapacité et désavantage de l’OMS cherche à pointer où doit porter la prévention technique, tant pour diminuer les risques de déficience (perte d’une fonction physiologique), que pour permettre que cette déficience ne conduise pas à l’incapacité (activité qui ne peut plus être faite) et à sa conséquence, le désavantage ou handicap (reclassement hypothétique avec perte de salaire, perte d’emploi...) (2, 11).
    Méthode :

L’étude, de type épidémiologique transversal a été conduite, dans 31 stations de sport d’hiver, par 28 médecins du travail incluant l’ensemble de leurs salariés (3910 salariés). Le choix des médecins a été basé sur le volontariat, tout en stratifiant sur la répartition des stations dans les différents massifs (Alpes, Jura, Vosges, Auvergne et Pyrénées) sur la taille et l’altitude des stations.

Le recueil des caractéristiques individuelles, fait au cours des visites médicales annuelles, portait sur :


L’examen médical standardisé recueillait les antécédents médicaux, et recherchait les déficiences le jour de la visite, plus particulièrement cardio-vasculaires (hypertension, dyspnée gênant l’activité de travail, angor d’effort) et ostéo-articulaires (douleurs séquellaires post traumatiques, blocage ou limitation articulaire) selon une grille recensant 10 articulations et segments de membres de chaque côté du corps.

Un questionnaire spécifique étudiait systématiquement les activités professionnelles en scrutant pour chaque tâche principale de la profession, si l’agent la fait souvent, occasionnellement ou jamais.

Le même questionnaire recherchait si ces tâches étaient faites facilement, péniblement ou ne pouvaient plus être faites car trop pénibles afin de mesurer les incapacités correspondantes.

Sont ainsi étudiées les tâches suivantes :


L’analyse statistique est conduite en plusieurs étapes sur les logiciels BMDP et SPADN :

Validité de l’échantillon, comparaison des stations de l’étude à l’ensemble des stations françaises (données du syndicat national des téléphériques de France (SNTF)). Recherche de caractéristiques propres aux stations à discriminer la prévalence des déficiences et incapacités. Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) suivie d’une classification hiérarchique sur les 10° axes pour identifier des groupes de sujets à profils d’incapacité différents et rechercher, dans chacun d’eux, les caractéristiques individuelles et les activités de travail correspondantes.

Mesure du risque (régression logistique) d’appartenir à un groupe de sujets porteurs d’incapacité (issus de l’AFC précédente) en fonction des activités de travail et des caractéristiques individuelles. Etudes des facteurs de risque (régression logistique) d’incapacité de travail sur pylônes, activité essentielle dans la profession. Cette dernière analyse est faite sans référence à l’appartenance aux groupes de l’AFC uniquement chez les 828 salariés amenés à réaliser cette activité et, pour des raisons de puissance, l’âge est recodé en deux modalités <= 45 ans et > 45 ans.

Résultats :

Validité de la cohorte :

Les données du SNTF, datant de 1994 portent sur près de 100 stations représentant 95% du chiffre d’affaire total des stations du territoire. La comparaison de ces données avec celles des stations de l’échantillon (31) a été faite selon 4 critères : Région : Alpes - Auvergne et Pyrénées - Jura-Vosges Effectifs : <50 salariés – 51à 100 salariés - >100 salariés répartition (%) par statut : permanent - saisonniers ou bi-saisonniers

Pour chacun de ces trois critères, le test de CHI2 ne trouve pas de différences significatives de répartition (µ = 5% ) entre l’échantillon et les données nationales.

1- Analyse descriptive :

Cette approche tente de simplifier les choses en recherchant si des critères propres aux stations (taille, altitude, professions) permettent d’observer des répartitions particulières de déficience ou d’incapacité. Les stations ont été séparées, selon la médiane des effectifs moyens, en petites stations (60 salariés ou moins) et grandes stations (61 salariés et plus) ; cette approche correspond aussi à l’organisation du travail beaucoup plus spécialisée dans ce dernier groupe Aucune différence significative de prévalence des déficiences cardio-vasculaires ou ostéo-articulaires présentées dans la méthodologie, n’est retrouvée (test de Chi2 >0.05) entre ces deux regroupements de station. La prévalence des incapacités concernant les différentes activités de travail (fait péniblement ou ne peut plus faire), n’est pas non plus significativement différente entre petites et grandes stations, sauf celle concernant l’effort physique important (7,2% vs 6,2%, p<0.05).

La même approche est faite pour classer les stations selon l’altitude ou se fait le travail : (1000m, 2000m et 3000m) selon le critère suivant 80 % au moins des salariés ont des tâches à faire à cette altitude. Cette segmentation tient au fait que les contraintes de travail diffèrent selon ces altitudes : peu de grandes remontées mécaniques pour l’altitude de 1000m et postes de travail volontiers polyvalent, problèmes climatiques, d’isolement et de long parcours pour se rendre à son poste de travail pour l’altitude de 3000m. Il existe une prévalence significativement plus élevée des déficiences cardio-vasculaires (14%, 42%, 43%) ou ostéo-articulaires (16%, 49%, 34%) pour le travail à 1000, 2000 et 3000m. La prévalence des incapacités (fait péniblement et ne peut plus faire) est significativement plus élevée (test de Chi2, p>0.05) selon l’altitude de travail (1000, 2000, 3000), pour les activités suivantes : efforts importants (14%, 27%, 58% ), déplacements à pied (4%, 6%, 9%), déplacements à ski (1,3%, 4,8%, 5%), déplacements en véhicules tous terrains (5%, 7%, 13%) , postures difficiles (1%, 12%, 23%). La prévalence des incapacités de montée ou travail sur pylône et de travail répété n’est pas significativement liée à l’altitude de travail : un effet de sélection par le travail est possible..

La distribution moyenne du nombre total des déficiences ostéo-articulaires par agent diffère significativement, vu l’effectif, mais de façon très réduite selon les professions : administratif (0,5), exploitation seule (0,55), maintenance seule des remontées (0,61), pistes et secours (0,7), maintenance mécanique et électrique uniquement (0,75), maintenance + exploitation (0,82) et exploitation + piste et secours (0,85).

Selon la taille et l’altitude de travail, la distribution des âges, des statuts et des activités de travail diffère significativement, soulignant ainsi la difficulté d’une approche statistique simple et justifiant une approche multivariée pour intégrer l’ensemble des facteurs, de plus non indépendants.

2- Approche descriptive multivariée

Sans entrer dans des considérations statistiques, l’analyse factorielle des correspondances (AFC) permet, à partir de variables dites actives (ici les variables d’incapacité), de conduire des regroupements de variables se comportant de la même façon selon des axes portant globalement les mêmes informations. Cette " réduction " de variables ainsi constituée par les axes de l’AFC est alors utilisée pour créer des groupes ou classes de sujets regroupant les sujets dont les caractéristiques (réponses du questionnaire) sont proches sur les axes (classification hiérarchique). Dans cette étude, les variables actives, c’est à dire celles qui contribuent à créer les groupes, sont le fait de pouvoir facilement, versus péniblement ou ne plus pouvoir faire les différentes activités professionnelles. Les autres variables (âge, sexe, profession, déficiences sont présentées à titre illustratif dans les groupes : cette approche permet de voir comment se comportent ces dernières variables n’ayant pas contribué à la constitution des groupes et si elles y sont statistiquement liées (P< 0.05 ).

Cinq groupes sont construits à partir des 10 premiers axes de l’AFC, intégrant 65% de la variance totale. Le tableau I, établi à partir des 3910 sujets n’ayant aucune valeur manquante présente, pour chaque classe les caractéristiques (modalités) statistiquement significatives (P< 0.05) classées en condition de travail, informations générales et incapacités.

L’interprétation proposée de chaque groupe est la suivante :

Le groupe 1 (37% des sujets) regroupe essentiellement des salariés sans incapacité ; ils sont essentiellement de sexe masculin, jeunes (<30 ans), n’ont pas de déficience et sont affectés à des tâches d’exploitation des remontées mécaniques, d’entretien ou de secours piste et secours ; leur ancienneté dans la profession et leur charge physique apparaissent comme modérées.

Le groupe 2 (22% des effectifs), regroupe encore des sujets sans incapacité : agents administratifs, de sexe essentiellement féminin, d’âge moyen (30-50 ans), sans contrainte professionnelle particulière. Ce groupe, comme le précédent, se caractérise aussi par le fait de ne pas avoir à faire les activités considérées comme les plus pénibles dans l’étude précédente c’est à dire régulièrement le travail sur pylône avec des contraintes ostéo-articulaires importantes.

Le groupe 3 (30,5% des cas) présente des sujets encore sans incapacité, mais affectés à la maintenance ou l’exploitation des remontées. Bien que la charge de travail soit importante (activités à charge physique importante réalisées souvent), ces sujets n’ont pas de déficience ; ils sont d’âge moyen ou élevé (> 50 ans) et l’ancienneté dans la station est moyenne.

Le groupe 4 rassemble un petit nombre des sujets (5,6%) qui ont des incapacités (fait de faire difficilement ou de ne plus pouvoir faire certaines activités professionnelles). Ces incapacités sont toutefois limitées aux activités les plus pénibles de la profession. L’ancienneté dans la profession est élevée (> 5 ans), l’âge est moyen et le travail est effectué dans de grandes stations (> 60 salariés) de moyenne ou haute altitude.

Le groupe 5 est tout aussi réduit (4,8% de l’échantillon) ; il regroupe des sujets cumulant de nombreuses incapacités, pour la plupart des activités pénibles de la profession. Les antécédents et les déficiences locomotrices sont souvent retrouvés, ainsi que des changements de poste à la demande du médecin du travail. L’âge est moyen ou élevé (>50 ans) ainsi que l’ancienneté dans la profession.

3 - Mesure des risques d’incapacité en fonction des activités de travail, des déficiences et des caractéristiques individuelles :

Pour définir une politique de prévention dans la profession, il est nécessaire de connaître quelles parts respectives jouent les données individuelles (âge, sexe, statut professionnel, ancienneté), les tâches de travail principales et les déficiences observées à l’examen clinique, dans la détermination des incapacités de travail. Cette approche est rendue possible par la mesure épidémiologique du risque d’incapacité en utilisant des modèles de régression logistique.

Parmi les cinq groupes décrits précédemment, construits sur les paramètres d’incapacité, les trois derniers sont plus particulièrement intéressants : ils classent différemment 1603 sujets ayant les mêmes activités (maintenance et exploitation des remontées mécaniques avec plus particulièrement travail sur pylône et essais en charge).

  • Facteurs contribuant au fait d’appartenir aux groupes à incapacité
  • Cette analyse est faite sans le groupe 1 (faible ancienneté et moins de 30 ans), regroupe les classes 4 et 5 (présence d’incapacités de travail) et prend comme référence interne le groupe 3 (pas d’incapacité). Elle recherche, par régression logistique multivarié, quelles sont les caractéristiques (modalités) liées à l’individu, aux activités professionnelles et aux déficiences qui sont liées au fait d’appartenir au non au groupe avec incapacité.

    Le tableau II présente les odds ratios (OR) des caractéristiques qui contribuent significativement au risque d’appartenir au groupe ayant des déficiences.

    Le travail sur pylône, le travail cadencé (activités répétitives sous contrainte de temps comme les essais en charge ou le passage des télésièges) ainsi que le fait d’avoir une déficience du genou ou de la colonne lombaire sont autant de facteurs de risque d’appartenir au groupe ayant des incapacités de travail. L’âge et le statut présentent des interactions et sont étudiés simultanément : en référence au groupe des sujets <50 ans et saisonniers, la plupart des autres statuts (bi saisonnier et permanents), quel que soit l’âge, sont des facteurs de risque d’appartenir au groupe avec incapacité de travail. La déficience visuelle non corrigée est probablement plus un indicateur global de prise en charge de la santé qu’un facteur de risque direct. Le travail à ski apparaît comme un facteur réduisant le risque (OR >1) ce qui témoigne probablement d’une activité à faible contrainte pour les sujets. Il en est de même pour le fait d’avoir changé récemment d’activité professionnelle pour une raison non médicale qui signe généralement une promotion professionnelle survenant chez un patient sans problème de santé particulier, classiquement passage du service des pistes au service de maintenance, poste à plus grande qualification.

    1. facteurs de risque d’incapacité de travail sur pylône.

    Le tableau III présente, chez l’ensemble des 828 salariés affectés à la maintenance ou à la maintenance + l’exploitation des remontées mécaniques, les OR des caractéristiques qui sont liées significativement à l’incapacité de travail sur pylône : le travail cadencé " fait souvent ", le fait d’avoir une lésion de la colonne et bien entendu d’avoir des vertiges apparaissant comme facteurs de risque. En référence au groupe des sujets <45 ans et saisonnier, tous les autres statuts (quelque soit l’âge) sont aussi des facteurs de risque. Le travail à ski et le fait d’avoir changé récemment de poste de travail, pour une raison non médicale (promotion par ex) apparaissent comme facteurs de " protection ".

    Discussion :

    La discussion aborde successivement les aspects méthodologiques puis tente d’interpréter en terme de prévention les données des analyses multivariées.

    1. Sur le plan méthodologique :

    Cette étude est de type épidémiologique transversale, elle est donc sujette au biais de sélection qui s’exerce à deux niveaux :

    Le choix d’un modèle d’étude de l’incidence des incapacités éviterait ce biais mais le suivi prospectif des incapacités serait trop lourd dans de nombreuses stations.

    Si le choix des stations de l’étude est lié au bénévolat des médecins incluant leurs stations, l’appel d’offre national de participation a cependant permis une représentativité compatible avec les données du SNTF. Le fait que l’ensemble des salariés de chaque station ait été inclus contribue à consolider cette représentativité.

    L’étude par taille et altitude des stations reste très décevante pour dégager des facteurs de risque professionnels responsables d’incapacité, cela est largement dû à la grande hétérogénéité de l’organisation du travail dans les stations et confirme la nécessité d’une approche multivariée.

    Il est intéressant que les deux études en régression logistique (tableaux 2 et 3) donnent à peu prés les mêmes résultats alors que l’une porte sur le classement des salariés à partir des axes de l’analyse factorielle de correspondance (groupe 3 versus 4 et 5) et que l’autre est indépendante de ce classement : cela témoigne de la cohérence de l’AFC précédente.

    Interprétation des données :

    Cette étude met en évidence des points particuliers qui méritent d’être soulignés pour définir une politique de prévention dans la profession des remontées mécaniques :

    La taille des stations n’est pas un paramètre discriminant des déficiences et des incapacités alors que les statuts et l’organisation du travail y sont sensiblement différents : il y a une plus grande proportion de salariés permanents ou bi-saisonnier dans les grandes stations, chargés en été de la maintenance et de la vérification des remontées mécaniques ; dans les petites stations, on note une plus grande polyvalence des tâches.

    L’altitude des stations est un facteur déterminant des déficiences et incapacités qui sont plus importantes pour les stations de 2000 m que pour celles de 1000. La réduction de ces ratios pour les stations de très haute altitude (3000m) est sans doute à rapporter à l’effet de sélection de l’état de santé par les exigences du travail à cette altitude.

    L’organisation du travail et le statut des personnels diffèrent selon la taille, l’altitude et le statut juridique des stations, impliquant des tâches différentes sous les mêmes étiquettes professionnelles (exploitation, maintenance, exploitation et maintenance, pistes et secours) ; en terme de prévention, il importe essentiellement de prendre en considération les tâches à effectuer et leur fréquence et non simplement le titre des professions.

    L’âge des salariés : la proportion des sujets de plus de 50 ans n’est pas plus élevée dans le groupe 4 ayant peu d’incapacités (52%), que dans le groupe 5 à prévalence d’incapacités importante (51,6%). De même, les deux régressions logistiques conduites (tableaux 2 et 3) confirment aussi que l’âge seul n’est pas un facteur discriminant d’incapacité : s’il on prend comme référence les sujets saisonniers de moins de 30 ans, on note que toutes les autres formes de statut, quelque soit leur âge, sont des facteurs de risque d’incapacité. Cette constatation est d’importance car elle infirme l’argument trop souvent exprimé selon lequel les incapacités sont liées à l’âge et que cela est inéluctable.

    Le lien entre déficiences et incapacité n’est pas très évident : dans l’analyse de typologie, entre le groupe 4 et le groupe 5 qui se caractérisent par des taux d’incapacité faibles et forts, la prévalence des antécédents traumatiques ostéo-articulaires n’est pas significativement différente : 29,4% versus 36,5% ; il en est de même pour la prévalence des déficiences au membre supérieur : 14% versus 21,2%. Les régressions logistiques confirment cette analyse : dans les deux études présentées qui modélisent le risque d’appartenir aux groupes 4 ou 5 versus 3 et le risque de travailler difficilement ou de ne plus pouvoir travailler sur pylône, on retrouve bien peu de déficience (tableau II et III).

    Tout cela témoigne de la capacité des sujets à s’adapter individuellement ou au sein du groupe de travail pour conserver leur capacité de travail et donc d’emploi. Il importe donc aux médecins du travail, devant un tableau clinique de déficience d’être extrêmement prudents dans la détermination d’une inaptitude.

    Quel est le poids des activités antérieures dans le déterminisme des déficiences actuelles ? La réponse directe à cette question peut être obtenue scientifiquement soit par une étude de cohorte historique liant les tâches antérieures aux déficiences actuelles ou soit dans une approche prospective liant les activités actuelles à l’incidence future des déficiences et incapacités professionnelles. Le modèle d’étude transversale choisi n’est donc pas optimal pour répondre à la question posée bien qu’il prenne en compte les tâches actuelles mais aussi l’ancienneté du sujet dans sa fonction. On peut cependant noter que l’étude des OR contribuant à appartenir au groupe 4 et 5 et non au groupe 3 (tableau II) montre un gradient de risque pour les activités de travail sur pylône ou de travail cadencé, selon que ces activités sont occasionnelles ou fréquentes. De même, la durée de ces activités est prise en compte puisque, en référence aux sujets <45 ans saisonniers d’hiver, le fait d’être bi-saisonnier ou permanent est un indicateur de risque ; il importe de rappeler que les bi-saisonniers et les permanents assurent les fonctions d’entretien et de maintenance des remontées mécaniques en été (essais en charge, travail sur pylône, terrassement…) et sont donc largement plus exposés aux contraintes physiques de la profession.

    Déficiences, incapacités et politique de prévention.

    La réalité d’un vieillissement différentiel selon les classes sociales est suggéré (5, 6). De nombreux travaux ont, de même, recherché un vieillissement différentiel selon les activités de travail (1, 3, 16, 14, 17). L’approche méthodologique doit prendre en compte des marqueurs de vieillissement très différents des marqueurs classiques de gériatrie définis pour des âges bien supérieurs. Le concept déficience, incapacité au travail et désavantage est un modèle intéressant (2). Il prend en compte les pertes de capacités individuelles encore appelées déficiences (assimilées classiquement au vieillissement), qu’elles soient liées à l’âge physiologique, aux sollicitations répétées ou traumatiques du travail, et intègrent leurs conséquences en terme professionnel (incapacité de réaliser certaines tâches) et social (désavantage par nécessité non volontaire de reclassement ou par perte d’emploi). Dans le cadre des remontées mécaniques, l’absence de poste de reclassement en station doit conduire la prévention vers une politique de réduction au maximale des contraintes physiques du travail, déterminant tout d’abord des déficiences puis des incapacités. Cette étude a montré des liens entre activités de travail, déficiences et incapacité professionnelle. A coté de contraintes inéluctables (intempéries, altitudes), elle pointe des situations de travail où la prévention a la possibilité de réduire les sollicitations ostéo-articulaires et cardio-vasculaires, quelque soit l’âge des salariés : travail sur pylône, travail cadencé, efforts en altitude, ports de charges….

    Conclusion :

    Le travail dans les remontées mécaniques regroupe des activités à contraintes ostéo-articulaires et cardio-vasculaires importantes qui s’exercent dans de multiples entreprises dont les organisations et effectifs sont très différent. Cette étude a recensé les déficiences et incapacités observées dans la profession et a mis en évidence des situations de travail contribuant possiblement au " vieillissement  " prématuré des salariés selon le concept déficience – incapacité - désavantage. Il importe aux responsables des stations et à leurs médecins du travail d’anticiper cela en définissant une politique de prévention ciblée sur ces contraintes qui ne sont pas inéluctables sous peine de se trouver devant une gestion des emplois difficile à moyen terme.

     

    Références

    1- Amphoux M, Touboul E A. Vieillissement et profession. Revue de Médecine du travail 1995; 22, n° 3 : 123-133.

    2- Cassou B, Derriennic F, Lecuyer G, Amphoux M. Déficience, incapacité et handicap dans un groupe de retraités de la Région Parisienne en relation avec la catégorie socio-professionnelle. Rev Epidem et Santé Publ 1986; 34 : 332-340.

    3- Davezies P, Rouhette T, Luzy A, Jourdain P, Prost G. Analyse du vieillissement différentiel dans une grande entreprise de la métallurgie. Arch Mal Prof 1993; 54, n° 3 : 250-252.

    4- Davezies P, Durand J D, Luzy A, Jourdain P, Brun J L, Prost G. Etude sur 5 ans des relations entre état de santé et sortie de l'entreprise au sein d'un échantillon de fondeurs. Arch Mal Prof 1993; 54, n° 3 : 252-253.

    5- Desplanques G. La mortalité des adultes suivant le milieu social 1955-1971. Collection de l'INSEE 1976; 44 : 6-146.

    6- Desplanques G. L'inégalité sociale devant la mort. Economie et statistiques 1984; 162 : 29-50.

    7- Derriennic F, Cassou B, Lecuyer G, Amphoux M. Déficiences locomotrice et cardiorespiratoire après la retraite en relation avec certaines expositions professionnelles durant la vie active. Rev Epidem et Santé Publ 1987; 35 : 263-273.

    8- Dubre J Y, Touranchet A, Branger C, Dhainaut M L, le Bris A, Maison B, Therond-Hamidou M, Derriennic F. Influence des conditions de travail et de l'âge sur l'appareil locomoteur dans le bâtiment et les travaux publics (enquète E.S.T.E.V. Arch Mal Prof 1993; 54, n° 3 : 224-228.

    9- de Gaudemaris R, Jalbert M, Isnard E, Flores JL, Siché JP, Perdrix A, Maitre A, Mallion JM. Place de la mesure de la pression artérielle en ambulatoire dans l'évaluation de la charge cardio-vasculaire de salariés travaillant en haute altitude. Arch Mal Coeur 1991; 84 : 1143-8.

    10- Gonthier R, Faucon D, Simand R, Seydoux D, Cabal C, Delomier Y, Minaire P. Indice de pénibilité établi sur le passé professionnel pour identifier un groupe à risque à la retraite. Arch Mal Prof 1993; 54, n° 3 : 279.

    11- INSERM Classification Internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages. INSERM 1988, 203.

    12- Jalbert M, Flores JL, Isnard E, Romazini, de Gaudemaris R. Evaluation de l'astreinte cardiovasculaire des employés des remontées mécaniques. Arch Mal Prof 1994; 55, n° 8 : 603-612.

    13- Jalbert M, de Gaudemaris R : Le travail dans les remontées mécanique : publication infos-risques.

    14- Millanvoye M. Une préoccupation économique : anticiper sur le vieillissement des salariés. Travail et sécurité 1993; 12 : 762-788.

    15- Paris C , Letourneux M, Gournay M, Monfrin F, Vandevoir D. Péniblité du travail et état de santé après 45 ans. Arch Mal Prof 1993; 54, n° 3 : 248-250.

    16- Teiger C, Villatte R. Conditions de travail et vieillissement différentiel. Travail et emploi 1983; 16 : 27-36.

    17- Touboul E A, Amphoux M. Vieillissement différentiel selon la profession. Arch Mal Prof 1993; 54, n° 3 : 265-267.


    Tableau I : caractéristiques des 5 groupes obtenus par la classification hiérarchique conduite sur les 10° axes de l’AFC.

    % mod/grp : pourcentage de l’ensemble des 3910 salariés qui ont cette modalité et qui sont dans ce groupe (représentativité de la modalité dans le groupe).

    %grp/Mod : pourcentage des salariés de ce groupe qui ont cette modalité (poids dans le groupe).

    Groupe 1

    1447 agents

    modalité

    %mod/grp

    %grp/mod

      Tâches fréquentes : Conditions climatiques difficiles

    76

    42

    poste isolé

    26

    46

    cadence élevée

    16

    42

    pelletage

    34

    43

    Infos générales homme

    87

    39

    exploitation remontées

    70

    56

    jeune <30 ans

    45

    47

    ancienneté prof courte

    44

    45

     
    Groupe 2 860 agents

    modalité

    %mod/grp

    %grp/mod

      N’ont pas à faire les tâches suivantes montée et travail pylônes 78 36
    pelletage 61 50
    déplacement ski 68 42
    Travail 2000m 61 35
    Effort altitude 73 42
    Infos générales femmes 43 55
    administratif 66 35
    > 30 ans 39 25
    Ancienneté prof courte 48 29
     
    Groupe 3 1194 agents

    modalité

    %mod/grp

    %grp/mod

      Tâches fréquentes Déplacement à ski 52 41
    Travail 2000 m 66 40
    Montée travail pylônes 20 44
    Variations d’altitude 55 43
    Port de charge 54 20
    Effort altitude 51 32
    Travail penché en avant 53 24
    Cond climatique difficiles 19 35
    Travail à genou accroupi 57 17
    Infos générales homme 92 34
    Piste secours 24 55
    Maintenance exploitation 15 48
    maintenance 10 49
    Statut de permanent 32 42
    30<age<50 35 34
    Ancienneté prof longue 45 37
    Déficiences Antécédents locomoteurs 27 41


    Groupe 4 221 agents

    modalité

    %mod/grp

    %grp/mod

      Tâches fréquentes Monté travail pylône 25 11
    Travail penché en avant 28 11
    Travail à genou accroupi 17 12
    Travail 2000 m 64 7
    Port de charge 21 10
    Effort altitude 38 11
    Cond climatique difficiles 80 6
    Variation altitude 62 9
    Travail 3000 m 31 25
    Infos générales homme 90 9
    Maintenance exploitation 23 13
    maintenance 14 12
    Statut de permanent 52 12
    >50 ans 52 9
    Ancienneté prof longue 56 9
    Déficiences Antécédents locomoteurs AT 30 8
    Déficiences droites 25 9
    Déficiences membre sup 14 9
    Incapacité (pénible ou ne peut plus faire) Travail penché en avant 54 42
    Travail à genou accroupi 76 70
    Port de charge 46 23
    Effort altitude 20 18
    Cond climatique difficiles 31 18
    Groupe 5 188 agents      
    Tâches fréquentes Monté travail pylône 39 14
    Port de charge 29 12
    Déplacement à ski 51 9
    Cond climatique difficiles 75 5
    Effort en altitude 38 10
    Variation altitude 54 7
    Travail penché en avant 38 13
    Travail à genou accroupi 29 14
    Travail 3000 m 13 9
    Infos générales homme 94 5
    Maintenance exploitation 35 17
    maintenance 19 13
    Statut de permanent 58 12
    >50 ans 52 7
    Déficiences Antécédents locomoteurs AT 37 9
    Déficiences droites 30 9
    Déficiences gauches 27 10
    Déficiences membre sup 21 11
    Déficiences membre inf 33 10
    Colonne lombaire 34 10
    Genou 26 11
    Cheville 8 14
    épaule 10 11
    Incapacités (pénible ou ne peut plus faire) Travail penché en avant 55 42
    Travail à genou accroupi 77 69
    Port de charge 46 23
    Pelletage 16 15
    Cond clim difficiles 32 19
    Effort altitude 20 19
    Travail cadence élevée 21 11
    Monté travail pylône 22 24
    Travail 3000m 5 13


    Tableau II : Odds-ratios des caractéristiques liées au fait d’appartenir au groupe à déficiences (4 et 5 ). En gras les 0R statistiquement significatifs (intervalle de confiance ne contenant pas la valeur 1).

    Variables

     

    OR

    Intervalle de confiance 95%

    changement de poste

    médical

    1,17

    0,57

    2,37

    Déficience colonne lombaire

     

    1,54

    1,16

    2,05

    Déficience du genou

     

    1,76

    1,27

    2,43

    Déplacements à ski

    occasionnels

    0,60

    0,42

    0,85

     

    souvent

    0,66

    0,48

    0,91

    travail sur pylône

    occasionnel

    1,37

    1,01

    1,85

     

    souvent

    1,93

    1,34

    2,76

    travail cadencé

    occasionnel

    1,44

    1,10

    1,87

     

    souvent

    1,76

    1,22

    2,52

    Déficience visuelle non corrigée

     

    1,48

    1,04

    2,10

    Age et statut

    > 50 ans et

    saisonnier

    1,49

    0,82

    2,68

     

    > 50 ans et

    bi-saisonnier

    2,53

    1,66

    3,86

     

    < 50 ans et

    permanent

    2,61

    1,89

    3,60

     

    > 50 ans et

    permanent

    2,45

    1,60

    3,75

    Constante du modèle

     

    0,20

    0,14

    0,28



    Tableau III : Odds-ratios des caractéristiques liées à l'incapacité à travailler sur pylône. En gras les 0R statistiquement significatifs (intervalle de confiance ne contenant pas la valeur 1).
    Variables

    (OR

    Intervalle de confiance 95%

    > 45 ans et saisonnier

    1,29

    0,627

    2,64

    > 45 ans et bi-saisonnier

    1,52

    0,833

    2,76

    < 45 ans et permanent

    1,53

    1,01

    2,30

    > 45 ans et permanent

    4,19

    2,56

    6,85

    motif de changement médical

    4,15

    2,09

    8,24

    Altération colonne lombaire

    1,68

    1,16

    2,43

    lésion genou

    1,51

    0,973

    2,35

    Déficience visuelle non corrigée

    1,55

    0,985

    2,44

    vertige

    5,02

    2,15

    11,7

    ski à l'occasion

    0,561

    0,349

    0,901

    ski souvent

    0,689

    0,454

    1,04

    travail cadencé occasionnel

    1,33

    0,911

    1,96

    travail cadencé souvent

    2,57

    1,60

    4,13





    Travail reproduit dans SMEL grâce à l'aimable autorisation des auteurs