Vous soutenez que dans les mers de la Chine on pêche certains poissons à écailles de couleur safran, qui tout l'hiver habitent dans l'eau, mais le printemps arrivé, ayant jeté leurs écailles, se recouvrent de plumes, et ouvrant leurs ailes, s'envolent vers les forêts des montagnes où ils vivent tout l'été et l'automne, à la fin duquel ils retournent s'ébrouer dans les eaux, reprenant leur ancienne forme de poisson. Bien que vous-même, illustre Père, dans votre livre de la Chine illustrée, montrez clairement de le croire, moi au contraire, je suis d'avis qu'au fond de votre cur vous ne le croyez pas, et que vous avez seulement le but de montrer le mieux possible la hauteur de votre intelligence, et la profondeur de votre doctrine, méditant et racontant les causes de ces métamorphoses successives, en espérant qu'elles soient vraies et peu distantes des habituelles lois de la nature.Descartes était plus expéditif : «Ledit [Kircher] a quantité de forfanteries, et est plus charlatan que savant». Il faut tout de même rendre à Kircher cette justice : dans un siècle passionnément religieux, où la gaudriole n'était pas toujours de mise, le «bon Père Athanase» a fourni maints sujets de rigolade. Contemporain de Kircher, Molière (Les Précieuses ridicules, Le Bourgeois gentilhomme, Les Femmes savantes) avait certainement en tête quelques modèles bien réels, mais il ne les a pas dévoilés. D'autres n'eurent pas sa retenue. Quand J.B. Mencke publie en 1721 «De la charlatanerie des savans», augmenté des remarques critiques (et jubilatoires) de divers autres auteurs, Kircher est une cible de choix.
On dit qu'à Rome, une jeunesse badine, ayant résolu de se divertir aux dépens de ce Jésuite, grava plusieurs figures fantasques sur une pierre informe, qu'ils enterrèrent dans un endroit, où ils savaient qu'on devait bâtir dans peu. Qu'arriva-t-il ? Bientôt les ouvriers s'assemblent ; bientôt on creuse la terre pour jeter les fondements du nouvel édifice, et bientôt on rencontre la pierre, ce nouveau reste de l'Antiquité ; monument d'autant plus admirable, que la fureur du temps l'a respecté tout entier. On cherche un Oedipe ; c'est le Père : on lui présente la pierre. À ce spectacle, il sent des transports de joie qui ne se peuvent dire, il saute, il trépigne, et comme s'il était inspiré d'Apollon, il fait à l'instant le plus beau discours du monde, sur la signification des croix, des lignes, des cercles, et de tous les traits irréguliers, dont la pierre était chargée : jamais tant d'éloquence, ni tant d'érudition.
Vous vous doutez bien que les mathématiques (qu'il enseignait) n'allaient pas échapper à la production d'un esprit aussi universel. Après une «démonstration» de la quadrature du cercle qui fit bien rire les mathématiciens de l'Europe, il récidiva quelques années plus tard en publiant son «Ars Magna Sciendi, sive Combinatoriae» : quelque 500 pages d'élaborations fumeuses pillant sans trop de vergogne les travaux de Ramón Llull (antérieurs de plus de trois siècles). À la page 157 de cet ouvrage mémorable, on trouve une «Table générale, de laquelle les conjugaisons possibles de toutes choses peuvent se calculer simplement». Suit la liste des valeurs de , pour allant de à . Devinez quoi ? Ces valeurs sont fausses à partir de la 39e. Euh... avant de ricaner, essayez donc de calculer à la main sans vous tromper !